Vincent rentre un soir chez lui, et, manque de chance, sa femme a été assassinée, sans raison apparente. Aucune explication ne sera d’ailleurs donnée à cette intrigue de départ. Vincent ne pourra donc revivre qu’après avoir trouvé celui qui l’a privé de l’amour de sa vie. Mais, trois ans plus tard, sa voisine Alice décide, pour pouvoir être aimée de lui, de se lancer à la poursuite de l’assassin, ou d’en trouver un qui fera l’affaire, en l’occurrence un chauffeur de taxi interprété par Harvey Keitel. Dans le noir d’un New York ultra esthétisé, Manuel Pradal ne parvient jamais à poser une patte personnelle, préférant la référence à Scorsese ou Kubrick, et déçoit quasiment de bout en bout.
L’intrigue en elle-même n’a rien d’original : un homme cherche le meurtrier de sa femme pour pouvoir surpasser sa douleur. Le changement narratif principal intervient lors de la rencontre d’Alice, sa voisine, interprétée par une Emmanuelle Béart qui tenait certainement à faire son thriller franco-américain comme Juliette Binoche avec Quelques jours en septembre. Comme sa camarade, elle est belle, sensuelle, et Manuel Pradal le sait. Il la filme se coiffant, enfilant un pull, faisant l’amour avec Harvey Keitel, de dos, de profil, en gros plan, marchant au loin dans les rues. Mais jamais la notion de beauté ou de plaisir n’est réellement rendue à l’écran.
La première raison à cela est sans doute la volonté très marquée du réalisateur de ce situer dans une veine policière bien américaine : cependant, Un crime n’arrive jamais à faire oublier ses maîtres parce que le film plonge dans trop de clichés obligatoires. Tout d’abord, Manuel Pradal filme la ville du nord-est des États-Unis comme un paradis rêvé de noirceur, de petits bars de jazz où l’on boit du whisky, de taxis jaunes dont les chauffeurs sont philosophes à leurs heures et d’immeubles sombres dont les escaliers extérieurs structurent la représentation. Mais, malheureusement, toutes les images un peu rêveuses du Français qui tourne son deuxième film outre-Atlantique avec Harvey Keitel, après Ginostra, ne convainquent pas. Déjà on pressentait dans son dernier opus un manque d’imagination personnelle. Ce dernier est ici amplifié par une volonté trop lourde d’esthétiser tout mouvement de caméra et toute direction d’acteurs.
En effet, Manuel Pradal joue en permanence sur les clairs-obscurs dans la ville, tout comme sur le désespoir de son héroïne Alice qui comporte évidemment assez d’énergie pour convaincre Vincent qu’il est l’homme de sa vie. Mais c’est surtout sa relation avec Harvey Keitel, Roger, qui devient le centre narratif du film : celle-ci devient trop forcée, trop clairement étrange ou mystérieuse. Dans le développement des personnages même on retrouve la complication, dans les dialogues une certaine prétention. Roger est chauffeur de taxi, mais, comme tous les anciens alcooliques, a une passion : pour lui, il s’agit du boomerang, sur le pont de Brooklyn, passion qui donne lieu à toutes sortes de tirades plus ou moins ridicules, telles ces futurs grandes pensées « Le boomerang, c’est la seule chose que je connaisse qui revienne toujours » ou « Il faut savoir donner et recevoir ». On est d’accord.
Mais jamais les relations entre homme et femme, entre Vincent et Alice, entre Roger et Alice qui couche avec lui pour mieux le piéger, ne deviennent intéressantes. Peut-être parce que Manuel Pradal donne une trop grande importance à une psychologie basique, l’amour peut entraîner beaucoup de choses, même les pires. On est toujours d’accord, mais on ne voit toujours pas l’intérêt de remettre en scène une ville et des personnages déjà vus, déjà fades. Peut-être également parce qu’Emmanuelle surjoue dans le désespoir volontaire comme Harvey Keitel dans le violent passionné.
Un crime montre une ville où les solitudes se rencontrent pour se détruire et se retrouver. Manuel Pradal décrit une romance troublée par la noirceur du décor et de l’existence. On était d’accord pour suivre les tribulations d’un Français sur les longues avenues. Mais, comme pour Quelques jours en septembre, on est déçu des citations visuelles constantes, et du manque de personnalité de ce film.