Dans le sillage des films d’Asghar Farhadi, le cinéma iranien contemporain donne régulièrement des nouvelles de la classe moyenne de Téhéran. Pour son second long-métrage – le premier à sortir en France – Behnam Behzadi ne fait pas des carcans religieux et politiques qui oppressent la population son objet principal mais préfère, dans un pas de côté louable, en décrire les conséquences. Pourtant, le délai d’un an entre la présentation d’Un vent de liberté à Cannes 2016, dans la sélection « Un Certain Regard », et sa sortie dans les salles françaises pourrait s’expliquer en partie par la fadeur de ce drame de la petite bourgeoisie téhéranaise qui peine à intensifier les bonnes dispositions formelles que l’on entrevoit au début du film – notamment l’utilisation de la ville comme personnage-décor à part entière.
Niloofar (Sahar Dolatshahi), jeune trentenaire célibataire, couturière de profession, gère un petit établissement. Son frère Farhad (Ali Mosaffa, vu dans Le Passé) et sa sœur Homa ainsi que leurs familles respectives gravitent autour d’elle tandis que le retour en ville de son ami Soheil (Ali Reza Aghakhani), jeune cadre dans une entreprise de bâtiment, ne la laisse pas insensible. Cette situation initiale, presque idyllique – on voit Niloofar prendre soin de choisir la couleur de l’habit qu’elle portera lors d’un diner en tête à tête, dans un restaurant chic, comme preuve de son épanouissement personnel au début du film – ne pouvait rester en l’état : l’hospitalisation soudaine de sa mère, affectée par la pollution de l’air de Téhéran et les préconisations du docteur de l’envoyer respirer dans le nord du pays chamboulent l’harmonie apparente. Mettant en avant leurs activités professionnelles et leur vie familiale trop liées à la vie bouillonnante de la ville – et donc l’impossibilité pour eux, de s’en éloigner – Farhad et Homa décident unilatéralement, en vertu de leur droit d’aînesse, que Niloofar accompagnera la vieille dame dans cette région plus reculée et moins attractive. Décision qui, on l’imagine aisément, n’est pas du goût de la principale concernée.
Ville paradoxale
C’est surtout Téhéran qui est filmé dans Un vent de liberté, plus que les hommes et les femmes qui la peuplent : le confort matériel des personnages tranche avec le chaos sonore, mécanique et pestilentiel qui règne à l’extérieur. Cette confrontation du dedans et du dehors de la ville est très parlante. Souvent, les discussions importantes se font à l’abri dans une voiture climatisée et on n’aperçoit la congestion des rues que par les fenêtres. Le brouillard de pollution figure une chape de plomb qui pèse sur les habitants aussi bien qu’elle les isole. De deux choses l’une : l’oppression sociale et religieuse qui régit les comportements les plus quotidiens, si elle n’est pas verbalisée, ressurgit métaphoriquement dans cette atmosphère irrespirable. Mais cette ville sous cloche en dit aussi long sur la centralité de la capitale iranienne et son importance dans l’épanouissement pour ses jeunes habitants qui entrevoient, depuis quelques années, une liberté économique nouvelle.
Malheureusement, Behzadi ne tire pas grand-chose de cette belle structure urbaine et paradoxale. Un vent de liberté s’enlise dans le conflit et redevient rapidement ce qu’il avait soigneusement évité d’être, à savoir un film très discursif. Le sentiment de claustrophobie est renforcé par la représentation des membres de la famille de Niloofar sur le mode du clan, presque mafieux. Il faut voir le frère, la sœur et les belles-familles descendre les escaliers de l’hôpital parfaitement alignés, Farhad au centre, faisant face dans un champ-contrechamp avec l’héroïne acculée au bas des marches, devant cette image que l’on croirait directement extraite d’un film de gangster. Cette construction enferme le film dans une logique du « seule contre tous » très réductrice. Si l’on met de côté le personnage faire-valoir de la mère, il n’y a que la jeune nièce, timide et compatissante, qui vient accompagner Niloofar dans sa lutte pour s’extraire des liens familiaux. Même l’amant, plutôt sympathique aux premiers abords, cherche à la manipuler maladroitement.
La linéarité de l’histoire se fissure et Behzadi multiplie les scénettes comparables les unes aux autres, faisant plus varier les exemples de coups bas portés à l’héroïne pour qu’elle ne cède que penser de véritables nouvelles finalités. Là où il aurait pu faire résonner les différents liens qui unissent les membres de la famille de manière dense et complexe, Un vent de liberté se contente d’un constat faible d’une société hypocrite et encore conservatrice dans les esprits. Malgré sa brièveté, le film est particulièrement redondant, les espaces se rétractent tout comme l’ambition formelle qui perd en saveur, se dévitalise, délaissant la ville pour des palabres de salon. La conclusion amère, vaguement transformée en réussite – Niloofar cède à sa famille mais profite de la situation pour se venger de la lâcheté de Soheil – se satisfait finalement sans trop de mal de son statu quo et interroge aussi l’intention féministe qui sous-tend le film, plus passive que véritablement combative.