Une semaine et un jour faisait partie cette année de la sélection officielle de la semaine de la critique, au Festival de Cannes, où il s’est vu décerner le prix de la fondation Gan à la diffusion. La lente genèse de ce premier film d’un jeune réalisateur israélo-américain, qui s’est étalée sur près de quatre ans, trahit l’ambition dont il est porteur : réaliser une franche comédie sur le deuil, aussi délicate que cruelle. Une semaine et un jour démarre non pas sur une scène d’enterrement lourde d’un pathos inoffensif, mais s’ouvre en plein milieu du dernier jour du deuil, une semaine après les funérailles du fils de Vicky et d’Eyal, le couple dont Polonsky dresse le portrait. Cet art du contretemps affectif sera d’un bout à l’autre l’une des plus sûres qualités du film, tant Asaph Polonsky s’ingéniera à brouiller les frontières entre l’écoulement routinier du quotidien et les intermittences du sentiment de deuil.
Husbands & Sons
Le film s’ouvre sur une scène de tournoi de ping-pong rapidement avorté, dont la fonction essentielle est de montrer le personnage d’Eyal (l’excellent Shay Avivi) en train de se confronter aux seuls adversaires à sa mesure : un trio de bambins qui sembleraient presque plus adultes que cette figure de quinquagénaire en pleine crise existentielle. Asaph Polonsky assume pleinement la pente régressive sur laquelle l’entraîne son personnage, vers un horizon de late teenage movie dont l’enjeu serait le suivant : dresser le portrait d’un homme en apparence des plus banals, mais en réalité pétri de contradictions, qui, bien qu’endeuillé, n’a jamais vraiment enterré sa vie de garçon. La résurgence d’automatismes prépubères est bien croquée à travers quelques scènes cocasses : un jeu de cache-cache avec les voisins encombrants, un atelier weed & sushis improvisé avec Zooler, le fils desdits voisins, ancien ami du défunt (Tomer Kapon, que le cabotinage n’effraie pas). La frénésie spleenétique dont le tout est imprégné, est au fond semblable à celle qu’infusait Cassavetes dans la nostalgie tapageuse de son film Husbands (1970), qui narrait les retrouvailles fracassantes d’«adulescents » bons pères de familles, après les funérailles de l’un d’entre eux. Dans ce microcosme générationnel où tout fonctionne décidément à contretemps, c’est ainsi le contact d’Eyal avec la jeunesse d’aujourd’hui qui semble faire lorgner la mise en scène vers une inspiration seventies. La scène où Zooler, alors qu’il accompagne Eyal à l’hôpital, profère un message pacifiste tandis qu’il est affublé d’un costume de hippie, le manifeste de façon on ne peut plus explicite. Ce revirement assez imprévisible entérine la métamorphose du personnage d’Eyal, engoncé au début du film dans un solipsisme extrême (il fausse compagnie à tout le monde), et que l’interprétation de Shay Avivi, extrêmement précise, faisait tendre vers un jeu à la Ben Stiller des années 1990 : une forteresse comique inassiégeable (Eyal passe littéralement son temps à se barricader).
Le règne de l’arbitraire
Dès lors, il est dommage qu’Asaph Polonsky ne se soit pas tenu exclusivement à ce programme, duquel il s’éloigne en essayant de plaquer sur cette première trame comique une radiographie du couple dans le sillage de la modernité cinématographique, quelque part entre les chroniques cassavetiennes de la déchéance conjugale (Faces, Husbands) et la fameuse trilogie d’Antonioni sur les affres du couple moderne (L’Avventura, La Notte, L’Éclipse). Réunir Shay Avivi – acteur d’habitude plutôt cantonné à des rôles comiques – et Evgenia Dodina – comédienne qui a bâti sa renommée au théâtre – dans un couple de cinéma relevait de la gageure, et il y avait effectivement là un contraste à exploiter. Avec sa moue languide, impénétrable, qui en fait une sorte de Jeanne Moreau israélienne, Evgenia Dodina offrait des potentialités tragiques à Asaph Polonsky, qui demeurent sous-investies. Ainsi, au détour d’une scène, où elle remonte le rideau métallique qui couvre la baie de la véranda, les reflets d’Eyal et Zooler viennent se projeter sur sa joue gauche, comme pour métaphoriser, dans un cadrage géométrique qui rappelle l’abstraction maniaque de La Notte (la tension psychologique en moins), le délitement de son couple au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la semaine de deuil. Dans une autre scène, la caméra pivote autour de son visage en très gros plan, façon Cassavetes, pour saisir les larmes qui coulent discrètement le long des joues de Vicky, après que cette dernière a eu appris une mauvaise nouvelle : Eyal et elle-même ne pourront pas être enterrés aux côtés de leur fils, l’emplacement ayant été attribué à une autre famille. C’est cette oscillation purement cosmétique entre des influences hétérogènes qui discrédite en partie l’entreprise d’Asaph Polonsky, d’autant plus qu’il n’arrive pas à trouver de point de fusion, aussi infime fût-il, entre ces différents régimes d’inspiration. Signe de cet état de fait : Polonsky ne peut s’empêcher de recouvrir ses plans d’une bande originale rock’n’roll incongrue, qui surgit inopinément au détour d’un plan pour s’interrompre tout aussi arbitrairement, minant la force d’évocation des images, alors réduites aux vestiges d’un clip sibyllin. La fin, en particulier, laisse un profond sentiment d’inachèvement : les acteurs, tirés à quatre épingles, semblent tout droit sortis d’une publicité, tandis qu’ils miment avec maladresse une complicité conjugale achevant de nous éloigner d’eux.
Pour apprécier Une semaine et un jour à sa juste valeur, il faudra donc épouser la puérilité cafardeuse de son personnage principal afin d’être sensible à la pure comédie régressive voilée dans une étude de couple a priori très convenue. Il faudra peut-être aussi accepter de faire primer la politique des acteurs sur celle des auteurs, pour admirer la maestria tranquille avec laquelle Shay Avivi et Evgenia Dodina conduisent et construisent la mise en scène aux moments du film où elle est la plus faible : par un furtif haussement de sourcil, une grimace osée, un échange de regards et, plus globalement, l’exaspération mutuelle à laquelle ils conforment la relation qui lie leurs personnages, ils nous rappellent que les comédiens participent pleinement de l’élaboration d’un film, et, partant, qu’ils sont un peu cinéastes à leur manière.