Luc Besson n’est plus aujourd’hui seulement un nom, c’est aussi un épouvantail, un repoussoir pour toute une partie de la cinéphilie et de la critique française. Valérian et la cité des mille planètes est un film qui ne risque pas de bouleverser ce constat, il aura même tendance à l’exacerber – en témoigne l’accent mis dans la presse sur le caractère pharaonique de la production et l’impact que pourrait avoir l’échec du film sur l’avenir d’EuropaCorp, la maison de Besson, qui mise beaucoup sur cette adaptation de la bande-dessinée de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin. Il faudrait pourtant faire abstraction du nom de Besson ainsi que du budget du long-métrage, car au-delà de l’ambition économique du projet, Valérian… est aussi un film qui parvient à faire des défauts habituels de son auteur – une propension au kitsch, à la vulgarité, à une imagerie frelatée – le terreau d’un blockbuster numérique plus curieux qu’attendu. Dans la première véritable scène du film, un monde idyllique se dévoile à nous : une plage paradisiaque, un ciel dégagé, des extraterrestres bleus qui vivent dans la félicité et l’harmonie avec la nature, bref, une carte postale stéréotypée, empruntant au passage beaucoup à Avatar, et dont on devine rapidement qu’elle va être frappée par un cataclysme total. Ce qui ne manque pas d’arriver : une fois le cadre posé, des carcasses de vaisseaux fendent le ciel pour répandre sur cet Éden de sable fin les flammes de l’Apocalypse. Ce qui est plus inhabituel, et ce qui constitue au fond le cœur des scènes les plus intéressantes du film, vient après cette exposition attendue. Il s’agit d’un raccord : de la plage idyllique et ravagée par l’extinction, on passe à un cadre paradisiaque similaire où Valérian et sa partenaire Laureline bronzent dans ce qui semble être clairement un espace virtuel, impression confirmée rapidement par une voix et un effet numérique révélant la véritable nature du lieu où se trouvent les personnages. De sorte que d’une image parfaitement artificielle, le spectateur est amené à une image qui assume parfaitement son artificialité : à l’inverse des blockbusters qui jouent au choix la carte de la transparence ou du tout numérique assumé, Valérian… embrasse ainsi un horizon intermédiaire, qui fait de la fausseté affichée de son imaginaire le centre névralgique de son esthétique.
Traverser le mur
C’est ni plus ni moins ce que met en scène la meilleure séquence du film, où Valérian et Laureline cherchent à récupérer un bien fédéral dérobé situé dans le Big Market, soit un champ désert où les visiteurs, munis de casques qui rappellent ouvertement la VR (Virtual Reality), naviguent dans un espace numérique pour acheter des bibelots qu’ils convertiront ensuite physiquement. À ces deux strates, Valérian superpose d’abord une troisième couche, grâce à l’entremise d’un instrument qui lui permet de se tenir dans une réalité intermédiaire, à mi-chemin entre les deux premières, pour arracher au monde virtuel l’objet de sa recherche. C’est lorsque le plan déraille que la séquence s’emballe : pour échapper à ses poursuivants, Valérian tombe dans un gouffre et traverse les différentes couches du marché virtuel, ce qui épaissit encore un peu plus le réseau d’espaces dans lequel le personnage se retrouve prisonnier. En dépit du peu de crédit que l’on accorde à Besson, il faut reconnaître que, le temps de cette séquence, son film épouse un séduisant mouvement d’écriture jouant sur la facticité et la malléabilité de l’espace numérique pour creuser l’image, creuser un trou, creuser un mur, ce que feront par la suite Valérian et Laureline à chaque fois qu’ils se retrouveront confrontés à un obstacle.
Il n’en demeure pas moins que Besson reste soumis à un régime d’imagerie et que ce mouvement, qui pourrait donner naissance à un bon film d’action, est parasité par l’impératif de façonner un imaginaire – par ailleurs plutôt laid et guère original. La séquence dansée de Rihanna, dont le personnage, Bubble, sera sacrifié une fois devenu inutile, témoigne bien de cette tendance lourde : extraterrestre capable d’adopter la forme de son choix, Bubble se trémousse lascivement devant Valérian en alternant ses différents costumes (écolière sexy, femme de chambre langoureuse, etc.) qui sont autant d’images figées susceptibles d’émoustiller son auditoire. Bubble, c’est ici le film lui-même, un show spectaculaire où se télescopent des images génériques. La scène met dès lors en exergue la tendance de Besson à l’imagerie, mais aussi le goût de l’épate qui gangrène sa mise en scène. L’attention du cinéaste se décentre de fait souvent de l’action pour s’attarder sur le bestiaire du film et les détails de la direction artistique : le pied d’un vaisseau qui se pose sur le sable d’une planète, tel ou tel extraterrestre à tentacules, etc. Reste qu’au-delà de ces défauts, Valérian et la cité des mille planètes semble surtout régi par une contradiction interne entre la poursuite d’une idée – faire un blockbuster où la traversée de la matière numérique serait l’enjeu premier – et l’élaboration d’une franchise, d’une machine de guerre destinée à impressionner la galerie. À défaut d’un film accompli, cela donne au moins un mastodonte plus bancal et singulier que ce que l’on pouvait escompter.