Et si Amélie Poulain pétait un câble et décidait d’envoyer braire tous ceux qu’elle aide ? C’est un peu le postulat de départ de Vilaine, une comédie ironique, mesquine… mais finalement bien gentille.
En 2006, dans leur album « Pamplemousse mécanique », le groupe punk français rigolard des Fatals Picards sortait la chanson « Moi, je vis chez Amélie Poulain », sorte de contrepoint narquois et énervé à l’écœurante gentillesse du film de Jeunet avec Audrey Tautou.Ce sont un peu les mêmes intentions qui ont présidé à la réalisation de ce Vilaine, film punk donc, où Marilou Berry joue Mélanie, jeune fille au physique ingrat solitaire et complexée, serveuse-pompiste-aide ménage-secrétaire-souffre douleur dans un restauroute tenu par un clone de Franck Dubosc à moustache et perruque. Elle est également la cible des malveillantes attention de ses trois amies : sa cousine, arriviste qui se marie pour « monter à Paris » et qui tue le temps en se faisant le mécanicien entre deux piles de pneus, la fille du maire qui tient la principale attraction de la ville (le musée de la porcelaine animale, unique au monde), et une brune d’une bêtise crasse – tellement, nous dit le narrateur, qu’elle « était brune, mais elle aurait dû être blonde ». Et Mélanie, donc, est gentille, serviable, rend visite à tous les vieux de l’hospice local tous les jours, sort le chien énorme et incontinent de la voisine du dessous – et en gros fait de son mieux pour qu’on l’aime un peu quand même. Jusqu’au jour où elle se rend compte que sa cousine et ses deux amies (« les trois garces ») ont monté un coup en lui faisant croire qu’un homme rencontré sur le net voudrait bien d’elle. Alors, Mélanie se décide à devenir Vilaine.
Personnages stéréotypés se réduisant à un trait de caractère, gentillesse écœurante, narrateur omniscient chargé de poser les bases et de commenter l’histoire, héroïne à la coupe similaire à Audrey Tautou – jusqu’au décor et à la mise en scène, tout dans Vilaine évoque un Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, version plouc-provinciale. Et c’est certainement l’idée la plus savoureuse du film, tant le propos peut être parfois vachard et renvoyer dans les gencives du conte choupinet et rose bonbon sépia jusqu’à l’écœurement de Jeunet ses bonnes intentions et sa mièvrerie un tantinet réac. Mais hélas, Vilaine ne va pas au bout de ses possibilités. D’une part, parce que le propos très qualité française du film de Jeunet n’est pas dénoncé avec l’ironie réaliste dont les deux réalisateurs de Vilaine semblent désirer se prévaloir – finalement, Mélanie n’est qu’une version vacharde, vilaine donc, d’Amélie Poulain. Mais elle n’est pas méchante, elle ne se laisse pas aller à une horrible méchanceté gratuite… et réjouissante. Parce que, dans Vilaine comme dans Amélie Poulain, les gens moraux s’en sortent finalement, et les amoraux en prennent pour leur grade – mais cela reste finalement le triomphe d’une certaine gentillesse. Vilaine est donc, non pas le reflet sombre, à la John Waters d’Amélie Poulain, mais juste un exercice de style ironique, reposant sur les mêmes bases.
Alors, certes, Mélanie met le chat à la poubelle (il y restera d’ailleurs un bout de temps) ; certes elle attache le chien à un bus pour lui faire sa promenade ; certes elle mobilise son hospice pour défoncer à coups de battes le musée de la porcelaine… Mais finalement, le chat sortira de la poubelle, le chien survivra à sa redoutable promenade, et c’est un éléphant qui ravagera les porcelaines (si). L’âme gentille de Mélanie ne sera jamais entachée, jamais vraiment touchée, remise en cause, par ses actes. De plus, la vengeance de notre héroïne souffre souvent d’incohérence qui nuit à son efficacité drolatique : ainsi, qu’elle s’arrange pour qu’une bécasse imbécile se rende à Questions pour un champion et se rende ridicule, soit. Mais comment nous faire croire que celle-ci se retrouve plus tard à la dictée de Pivot et aux Chiffres et des lettres ?
Entre vengeance finalement gentillette, et gags trop approximatifs pour être vraiment efficaces, Vilaine dilue donc son charme vachard et son intention d’enfoncer les bons sentiments à la Jeunet – dommage, l’idée en était pourtant séduisante. Il ne reste aux allergiques à la mièvrerie poulinienne qu’à se repasser encore les Fatals Picards.