Après une décennie fort peu honorable (Les Bronzés 3, La Guerre des Miss), Patrice Leconte tente avec Voir la mer de renouer avec la discrétion et la fraîcheur des films qui faisaient jadis son succès critique (Le Mari de la coiffeuse, Ridicule) ; hélas sa définition de la légèreté nous laisse perplexe. Il doit sûrement s’agir pour lui de s’autoriser tous les excès de facilité : entre un caractère extrêmement convenu et de nombreuses maladresses, pas grand-chose ne dépasse de Voir la mer, si ce n’est quelques bonnes idées de mise en scène. Leconte confond insouciance et bâclage, et s’il a beau rassembler mécaniquement les ingrédients d’un charmant film léger, la mayonnaise ne prend pas.
Météo marine
Il n’a pas fallu longtemps au cinéma français pour se faire une manie du dénudement des égéries météo du Grand Journal de Canal+ : le casting de Pauline Lefèvre rappelle étrangement celui de Louise Bourgoin pour La Fille de Monaco. Et dans ce road-movie libertin où les masques tombent bien vite, pour les deux personnages masculins, il n’est bientôt plus question d’autre chose que d’équilibrer comme ils peuvent leurs fantasmes bouillonnants, et jeter aux ordures leur relation de frères pour devenir les satellites béats d’un top-model. Patrice Leconte multiplie pourtant les assauts du côté de la chronique d’amour-amitié décomplexée, jalonnant la route des vacances de scènes de complicité tristement surfaites : le jeu du petit beurre, la blague des villes de France… Rire, s’aimer, s’expliquer, tout dans Voir la mer n’est que formule, rite convenu. Les personnages semblent surjouer leurs propres rôles, exagérer leurs jalousies, leurs ressentiments, puis leurs pardons, comme si toutes leurs réactions d’humains pouvaient être à la fois extrêmes et nivelées, sans valeur.
C’est bien sûr dommage, vue la richesse du thème des deux frères et de leur rapport de domination. La valeur initiatique du voyage, l’amour qui ouvre les plaies et fait tomber les masques, sont autant de pistes qui, faute d’être d’une grande nouveauté, permettaient encore de multiples entrées dans une intrigue densément humaine. Malheureusement, si ce n’est un sursaut au début du film, balayé par l’entrée en jeu de Prudence, les deux frères sont dans une égalité parfaite, disposés symétriquement autour d’une présence féminine. Dans ce triangle « amoureux » souvent limité au désir charnel, tous les rapports de force qui devraient s’exercer entre eux s’effacent pour les réduire à des amants désincarnés. Et au milieu ? Pauline Lefèvre déçoit de scènes en scènes, multiplie les maladresses de jeu, les erreurs de ton, et ne fait jamais rien de mieux que relayer froidement les dialogues de Leconte, qui, pour l’occasion ne s’est adjoint l’aide d’aucun scénariste.
De répliques prêtes à l’emploi en situations vues mille fois, Voir la mer est un bon exemple de l’amalgame possible entre un cinéma entrepris dans l’envie de filmer, sans calcul, et un cinéma bâclé. Leconte justifie l’absence de scénariste extérieur par son désir de laisser le film se modeler selon son impulsion originale, son désir de cinéma, sans laisser le fignolage saper l’authenticité. Malheureusement, il n’est plus ce genre de cinéaste, et dans son élan, il embarque avec lui tous les plus mauvais réflexes en termes de représentation de l’humain et de ses sentiments. Rien ne sonne juste, tout est convenu. On pardonne – voire on justifie – assez volontiers à d’autres genres de se défaire d’une bonne description humaine au profit d’enjeux plus proprement cinématographiques, ou même techniques. Mais dans un film dont l’ambition est de raconter le plus simplement du monde une historiette autour de trois êtres, les personnages peuvent-ils faire semblant ? Ou peut-être le réalisateur lui-même fait-il semblant de refaire un cinéma sincère.