Il est convenu depuis quelques années d’associer les dernières productions cinématographiques grecques à la crise économique qui touche le pays. En même temps que ces difficultés et leurs conséquences sociales, une sorte de nouvelle vague cinématographique a émergé, portée par Yorgos Lanthimos et A.R. Tsangari, dont les représentations inquiétantes ou radicales symbolisent une situation bien réelle. Une obsession que partage, dès son programme annoncé par le titre, cet ensemble disparate de six courts-métrages réalisés au long de ces années de crise (les films ont été produits entre 2010 et 2013). Disparate car répondent, à l’exigence du format court, six intrigues plus ou moins conceptuelles : du film animé, didactique et comique (The Greek Crisis Explained) au rapide travelling cherchant à balayer la société grecque dans toute son ampleur (Casus Belli), en passant par des fictions à la narration plus conventionnelle. Mais de ce pot-pourri que rassemble l’unité thématique se dégage surtout une univocité qui sans doute justifie, au-delà du simple panorama annoncé, leur mise en relation dans ce voyage.
Remplir le frigo, à tout prix ?
À la différence du cinéma d’Amérique Latine, qui a filmé le désarroi du peuple argentin avec pudeur et humour (par exemple dans le Mexicain Los Bañistas (2014), inédit récemment diffusé sur la plateforme Mubi), le jeune cinéma grec semble s’enliser dans un discours qui, pour tout réaliste et cohérent qu’il soit, porte le sceau de l’univocité et du message convenu. C’est en tout cas ce que laisse supposer, dans sa mise en relation de ces six courts, Voyage en Grèce par temps de crise. La honte ou la débrouille des Grecs qui vivent avec les moyens du bord pourraient être les thèmes principaux de ces six films tous portés vers un même objectif : offrir un panorama de la situation sociale grecque, de l’intérieur. De l’enfant qui cache sa situation critique à l’école au commerçant désespéré, en passant par le père de famille cherchant coûte que coûte à remplir le frigo, c’est avant tout vers un accablement assez pesant et univoque que tend ce message partagé. Malgré de simples appels à l’action (Casus Belli) ou à la solidarité et au partage (Course contre la montre, le meilleur des courts du programme, sorte de mise en scène burlesque de la débrouille et de l’impératif d’évasion auxquels sont soumis les citoyens), l’ensemble est frappant par son manque de perspective voire de recul.
Dès lors que l’enchaînement des courts concentre l’univocité de ce message (constat de misère, de honte, de désarroi, donné sans pudeur mais toujours explicité, redoublé dans les dialogues ou les voix off), il n’y a plus de limites, plus de repères moraux – car la véracité des faits seule veut justifier l’évidence du propos. 45 degrés, cinquième court du programme, semble ainsi d’abord reprendre la tendance suivie par les autres courts : personnages accablés et las, soucieux de trouver de quoi manger, hommes en responsabilité, etc. Celui-ci, avec peut-être moins d’évidence que les autres, finit dans son déroulé par justifier les ratonnades sur les immigrés – car, semble nous dire le film, cela a au moins permis à ce père de famille de remplir son frigo. Un film dont l’ambiguïté pourrait être discutée s’il était vu seul. Mais face à la redondance du programme et à côté de la piètre qualité des autres courts-métrages, 45 degrés achève de décrédibiliser cet ensemble pesant et démonstratif, qui ploie sous la lourdeur du message (tout faire pour remplir son frigo : être solidaire, accepter l’aide des autres, lutter ou taper sur des immigrés avec une batte de baseball, c’est pareil !). On espère toutefois que comme leurs aînés (avec par exemple Canine, Attenberg, Boy Eating the Bird’s Food ou A Blast, à des degrés divers), les jeunes réalisateurs de ces courts sauront se détacher de la pesanteur du réalisme à message pour proposer de véritables représentations d’un quotidien de crise : pour nous dire plus qu’un simple reportage ou article d’actualité, au lieu de s’enferrer dans un constat de misère devenu tristement banal, univoque.