Bryan Singer aux commandes d’un film touchant l’Allemagne nazie (plus précisément la tentative d’assassinat perpétrée le 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler par des généraux de l’armée allemande), voilà qui faisait un peu froid dans le dos. Régulièrement depuis son premier long métrage Public Access (1993), sur sa trajectoire du cinéma indépendant à la production hollywoodienne, ce réalisateur a esquissé des personnifications d’un mal insaisissable et pervers. Moins par questionnement personnel que par pur plaisir un rien puéril de faire joujou avec la noirceur, et pour des résultats pas franchement convaincants, notamment quand il lui arrivait de s’attaquer au sujet que l’opinion publique associe généralement au Mal absolu : le nazisme. Qu’on repense à son consternant Élève doué adapté de Stephen King, à ses grotesques évocations à distance de l’Holocauste appuyées sur les cabotinages de Brad Renfro et Ian McKellen. Ou encore à la pauvre scène inaugurale d’un X‑Men qui ne méritait pas ça, où un petit futur Magneto tordait par télékinésie les portes du camp de concentration où on l’emmenait… Moins historiquement connotée, se dresse bien sûr la figure malfaisante de Keyser Söze, l’âme damnée du surestimé Usual Suspects, dans lequel scénario, personnages et réalisation flambaient beaucoup sur le semblant de complexité diabolique des plans du soi-disant gangster de légende, juste pour un éphémère plaisir du coup de bluff final. Voir alors ce petit faiseur de trouble de pacotille — même passé par des blockbusters délestés de cette prétention : ses deux X‑Men et Superman Returns — évoquer même à distance une question à haut risque pour laquelle il éprouve une fascination aussi manifeste que peu productive artistiquement, avait de quoi faire craindre le pire.
La relative bonne surprise de Walkyrie, c’est d’y voir Singer tempérer ses vains élans pour la question du mal et de la perversité. De la conspiration en vue d’assassiner un chef d’État qui en a vu d’autres, réalisateur et scénariste de Usual Suspects tirent, précisément, un film de conspiration, presque pure œuvre de genre délestée de toute thématique ou circonvolution trop encombrante pour lui. Singer agit ici à ce qui s’avère sa vraie place : celle du faiseur, habile et intelligent comme il l’aura rarement été, déployant son sens du détail, du découpage et de la mise en place, jouant de la dilatation du temps pour créer l’attente paralysante. Car Walkyrie se prend moins pour une leçon d’histoire qu’il s’impose honnêtement comme un divertissement à suspense dont on connaît certes la fin (malheureuse), mais dont il détaille malgré tout les étapes à loisir de manière à faire naître un doute improbable, incitant le spectateur à mettre de côté en toute conscience sa connaissance de l’événement pour apprécier la mécanique d’artisan qui donne une vie filmique à cette entreprise désespérée.
Peut mieux faire
Le manque flagrant de regard sur les faits historiques qui sous-tendent le film est à la fois la béquille et la faiblesse de celui-ci. À l’exception de la timide incursion de la langue allemande au début en guise d’introduction stylée, Singer se garde d’insister sur le cachet « based-on-a-true-story » (ce stigmate du film « historique » américain actuel), le souci d’authenticité se limitant au scénario, à la direction artistique et aux tournages dans les studios de Babelsberg. Point, par exemple, d’imitations consciencieuses d’accent étranger plaqué sur la langue anglaise comme dans les affreux Insurgés d’Edward Zwick : tout le monde ici pratique l’élégant phrasé britannique sans plus de complexes d’authenticité — et en passant, l’Américain du haut du casting, Tom Cruise, ne donne pour une fois pas l’impression de suer à grosses gouttes sous son jeu d’acteur méthodique. Néanmoins, le fait que ce film à suspense sans esbroufe flirte avec la question de la fidélité à un dictateur, avec des figures historiques terriblement significatives, sans vouloir s’y attaquer franchement, n’est pas sans poser problème. Au fond, le film aurait fonctionné à l’identique dans un tout autre contexte, historique ou non, avec les mêmes messages téléphonés sur le courage là où nul ne l’attend et la désobéissance nécessaire à une autorité criminelle, avec aussi, peut-être, des analogies aussi pesantes que le sont ici les allusions clin d’œil aux fameuses « Walkyries » (Wagner et mythologie à l’appui).
Le contexte de l’idéologie nazie, posé comme motivation de révolte des chefs de la conspiration, s’avère alors un élément décoratif bien commode, mis à contribution avec un froid opportunisme. Les figures de tête du Troisième Reich, Hitler en tête, apparaissent au détour de quelques scènes, silhouettes vaguement dessinées par trop de prudence. Seules les dernières minutes, scènes d’exécution des conspirateurs jetant au passage un bref regard sur la fin de règne d’un Hitler plus paranoïaque que jamais (sa répression frappant indistinctement amis et ennemis dans son entourage), font mine de jeter un regard au-delà du divertissement habilement écrit et filmé vers la grande histoire qu’il laissait en coulisses. Sans cela, on n’hésiterait pas à penser que Bryan Singer n’a pas tout à fait résisté à sa fascination pour le croquemitaine qu’est le nazisme dans la mythologie hollywoodienne, et que son film aura été plutôt motivé par l’attrait des uniformes militaires portés avec l’élégance britannique.