War Machine, la nouvelle réalisation de David Michôd (Animal Kingdom) produite et jouée par Brad Pitt, est un « film original Netflix » — c’est-à-dire que le géant de la VOD devenu distributeur de long-métrages ne le destine qu’à son seul support. Cependant, en d’autres circonstances financières, il aurait parfaitement pu être destiné à une diffusion en salles sans que sa forme en soit affectée. En fait, on a même l’impression de l’y avoir déjà vu. Car cette satire de l’interventionnisme américain en rappelle fortement une autre : Les Chèvres du Pentagone (Grant Heslov, 2009). Même prétention de commentaire politique, même inspiration — à travers des adaptations libres d’ouvrages non-fictionnels — d’anecdotes authentiques aussi cocasses que peu glorieuses, même autosatisfaction surtout dans le commentaire sur l’absurde camouflant mal l’opportunisme et le manque de caractère de la démarche, et à l’arrivée même destination : l’oubli. La source du film de Heslov était le récit de recherches sur des expériences de l’armée américaine dans le domaine du paranormal. Michôd, lui, adapte un compte-rendu dévastateur, publié par un journaliste « embarqué » de Rolling Stone, du commandement des forces armées de la coalition en Afghanistan en 2009, tenu alors par l’offensif et peu discret général Stanley McChrystal. War Machine change les noms (McChrystal devenant McMahon) et appuie la critique originelle par la caricature, mais sans jamais vraiment convaincre de sa pertinence ni de sa verve, faute d’assumer une force comique ou même une cible.
Les chèvres de la realpolitik
D’emblée, pourtant, le film annonce la couleur, ou fait mine de le faire. Une voix off toute de cynisme convenu — celle du personnage journaliste — formule sa critique du caractère irréfléchi des guerres américaines à l’étranger, avant de présenter McMahon et son staff avec force commentaires ironiques sur la disparité et le flou des compétences de ces hommes. Le portrait du général domine le tableau tout le film durant, tout de volontarisme guerrier et de posture morale, et appuyé par le jeu clownesque d’un Brad Pitt aux cheveux colorés argent qui ramène le personnage à une sélection de tics vocaux, faciaux et gestuels. Ce choix d’interprétation histrionique, cependant, donne un bon indice de ce que le film a de problématique : le flou de sa posture satirique. En contemplant cette peinture par la bouffonnerie d’une hiérarchie militaire à la vision bornée et potentiellement dangereuse pour l’équilibre mondial (McMahon exige des renforts armés, pile à un moment où une telle initiative ferait mauvais genre : la préparation de l’élection présidentielle afghane), il est difficile de ne pas penser à un spécimen du pandémonium comique croqué par Kubrick dans Dr Folamour… Sauf que chez David Michôd la vacherie montre vite ses limites : si obtus, va-t-en-guerre et burlesque qu’il soit, McMahon reste un brave type, défendant ses hommes (même la nouvelle recrue afghane), s’exprimant sans chichis face aux politicards précautionneux auxquels il n’hésite pas à faire quelques coups bas, et puis sincèrement désireux de ne pas faire de victimes civiles dans sa War on Terror personnelle.
Le problème avec cette ambivalence du portrait, c’est qu’on sent bien qu’il s’agit moins de dépeindre l’ambiguïté d’un individu — ou d’un état d’esprit — que d’éviter de faire un choix dans un discours prétendant taper à droite et à gauche, mais faisant à l’arrivée douter de sa volonté. Dans son tableau général opposant assurance militaire sans discernement et calculs embarrassés de l’administration politique, War Machine alterne deux visions de ce rapport, jouant de l’une ou de l’autre selon celle qui l’arrange le mieux pour faire rire facilement : McMahon apparaît tantôt comme le conquérant anachronique et illusionné face à une situation sur laquelle il n’a qu’une vision des plus limitées, tantôt comme le héraut d’un idéal d’action et de franchise face aux tenants d’une realpolitik laborieuse. Même la foi du film en sa force comique ne semble pas si franche, à voir avec quel manque de conviction il décide, dans sa dernière partie, de revenir à un peu de sérieux. Alors qu’une escouade a été prise pour cible et a riposté efficacement, un soldat part en solitaire (!) à travers la ville pour liquider ce qui reste de la menace. Après une longue marche silencieuse, il finit par abattre ses cibles, mais aussi un civil par erreur, occasionnant le seul moment dramatique du film et annonçant la fin prochaine de la — longue — récréation. Illustration superflue du reproche déjà fait au bellicisme américain, ou moyen de le racheter quelque peu en montrant les troupes conscientes de leurs erreurs et embarrassées face à la population dans la séquence qui suit, cette inflexion d’un ton déjà passablement creux a tout l’air d’un aveu d’échec — du général et du film.