Yossi sans Jagger. Dix ans après, Eytan Fox retrouve le personnage principal de son premier long-métrage, film qui, à l’époque, avait bousculé les esprits en racontant l’histoire d’amour entre deux militaires. Dans cette suite, le réalisateur israélien se veut moins polémique et nous livre un mélo tout en émotion sur le deuil et l’acceptation de soi. Mais les beaux sentiments sont ils suffisants pour nourrir pleinement un film ?
Vivant maintenant à Tel-Aviv, Yossi ne s’est jamais vraiment remis de la mort de Jagger, son amant de l’époque, sur le champ de bataille. Solitaire, sa vie sentimentale réduite à néant, il n’a comme seule échappatoire que son métier de cardiologue. Quand la mère de Jagger vient passer des examens à l’hôpital, Yossi voit tout d’un coup le passé refaire surface. Un voyage vers le Sinaï et la rencontre imprévue avec Tom, un jeune militaire ouvertement gay, l’amèneront à tourner la page et à assumer son homosexualité.
Au moment de sa sortie, Yossi et Jagger avait fait scandale en Israël car il mettait à mal le machisme et l’homophobie qui régnaient alors au sein de l’armée israélienne. Dix ans ont passé. La situation pour les militaires homosexuels a un peu évolué (le film d’Eytan Fox y ayant certainement contribué) et cette suite arrive donc dans un environnement moins hostile. On sait que le cinéma d’Eyan Fox a toujours été traversé par une pointe de naïveté et de sentimentalisme. Mais ces défauts étaient toujours contrebalancés par des ancrages idéologiques ou politiques forts. L’exemple le mieux maîtrisé est sans aucun doute Tu marcheras sur l’eau (qui a révélé le réalisateur au grand public français), confrontation entre un agent du Mossad et le petit-fils d’un ancien officier nazi. Malgré ses maladresses et son final manichéen, The Bubble jouait aussi la carte de la polémique en réinventant à la sauce gay le mythe de Roméo & Juliette sous fond de conflit israélo-palestinien. S’engouffrant dans la voie mélodramatique amorcée (en version démultipliée) par la série TV Mary-Lou, Yossi se veut, au contraire, moins polémique et beaucoup plus « mainstream ».
La photo est propre, les acteurs sont agréables à regarder, les sentiments sont beaux, la musique de Keren Ann est romantique et les ressorts, même attendus, sont efficaces… Yossi remplit au moins son pari de toucher au cœur. A cela, il faut ajouter l’attention portée à l’étude des caractères. Aidé par l’interprétation de Ohad Knoller (son acteur fétiche qui a accepté de prendre quelques kilos pour le rôle), Eytan Fox décrypte très bien les errances et le travail thérapeutique de son personnage principal. Au-delà de l’homosexualité qui sert de fil rouge à l’ensemble de son cinéma, il arrive à soulever des thèmes universels. En effet, ce que raconte le film, c’est avant tout l’histoire d’une renaissance, celle qui mène Yossi des tréfonds du deuil aux lumières de la vie et à l’acceptation de soi. Plusieurs passages fonctionnent ainsi grâce à leur force émotionnelle et leur sincérité. On pense notamment à cette rencontre entre Yossi et les parents de Jagger où le jeune homme leur avoue avoir été l’amant de leur fils. La deuxième partie du film, centrée sur Yossi et Tom, est aussi l’occasion pour Eytan Fox de confronter deux générations de militaires, l’une qui a vécu dans le déni de l’homosexualité et l’autre beaucoup plus libérée. Le choix de donner le rôle de Tom à Oz Zehavi (l’équivalent de Robert Pattison en Israël) n’est d’ailleurs pas innocent et symbolise bien le pas franchi entre les deux films. Il en ressort, là encore, de très belles scènes comme ce moment où Tom, exhibant son physique d’athlète, amène Yossi à se déshabiller à son tour et à assumer son physique, son âge et sa sexualité.
L’ensemble est parfois démonstratif mais la justesse de ces passages tient l’histoire comme un garde-fou et l’empêche de sombrer totalement dans les dérives du téléfilm de luxe. Pourtant, à l’instar de Yossi qui est amputé d’une partie de lui-même depuis la mort de Jagger, le film semble, lui aussi, en manque d’une dimension qui lui apporterait une vraie substance. Car même si cette suite est plus à prendre comme un cadeau offert aux aficionados de Yossi et Jagger, l’approche du genre mélodramatique, trop univoque et premier degré, laisse un parfum d’eau de rose prononcé et nous donne, finalement, un sentiment d’inachevé. Espérons qu’il s’agit, pour Eytan Fox, d’une phase transitoire et que son prochain opus retrouvera le goût du politiquement incorrect pour nous offrir plus qu’une sortie de mouchoirs collective.