Le zombie a ceci de particulier qu’il est, dans sa forme actuelle tout du moins, une pure création cinématographique. Ses origines ont beau plonger dans la culture vaudou, la créature que l’on imite en geignant et en traînant des pieds est indéniablement née dans les salles obscures en 1968, avec La Nuit des morts-vivants, œuvre involontairement fondatrice de toute une nouvelle mythologie. En terme de présence dans la production culturelle, le zombie est depuis devenu le monstre le plus populaire de tous, celui que tout le monde regarde à la télé, lit en bande dessinée, dézingue dans les jeux vidéo, ou incarne dans la rue lors des célèbres zombie walks. La websérie Tous zombies, disponible sur Arte Creative retrace le parcours de cette créature qui, autrefois reléguée au cinéma d’exploitation, a fini par littéralement crever l’écran et se fondre dans l’imaginaire collectif d’un Occident fasciné par sa propre destruction.
En treize épisodes de moins de dix minutes, le réalisateur Dimitri Kourtchine parvient à synthétiser judicieusement les évolutions du zombie au fil des décennies, que ce soit dans la production cinématographique (période Romero, Fulci, Jackson…) ou au sein de l’imaginaire collectif. C’est d’ailleurs dans cette deuxième optique que la série se révèle la plus intéressante, quand elle sort du commentaire purement chronologique pour nous confronter aux usages de l’image du zombie et de la manière dont elle innerve le vocabulaire et les images du quotidien. Du glissement vers une violence mainstream ayant anéanti toute la portée subversive de la créature, au choix opéré par l’équipe de Donald Trump de placer les spots sur l’immigration clandestine pendant les pauses pubs de la série Walking Dead, Tous zombies nous montre à quel point cette nouvelle icône est, de bien des manières, le réceptacle privilégié des angoisses contemporaines. George Romero l’utilisait en image satirique, Fulci en épouvantail… et les promoteurs du self-defense en ont aujourd’hui fait le symbole de la nécessité du port d’arme (que ce soit par le rapprochement à peine masqué migrant/zombie, ou même la croyance que de vrais morts-vivants pourraient bien un jour envahir la planète). Romero avait conscience de la situation paradoxale de sa créature dès son Zombie (1975), qui raillait les dérives de la société de consommation tandis que le film se vendait comme des petits pains et que le zombie devenait un symbole de la contre-culture américaine que l’on imprime sur des T‑shirts. À l’occasion de sa disparition, la série est ainsi l’occasion de se rendre compte que désormais, l’esprit Romero est clairement à chercher autre part que dans les productions étiquetées « zombies ». Cela n’empêche par ailleurs de continuer à regarder avec attention ces dernières, tant elles sont les révélatrices de certains cauchemars que l’Occident a de plus en plus tendance à confondre avec la réalité.