Les Passagers, petit film sans moyens ni envergure, essaie de se distinguer du tout-venant de la production hollywoodienne par un audacieux mélange de film fantastique, d’enquête paranoïaque, de drame psychologique et de comédie romantique. Il inaugure ainsi un genre nouveau, qu’on pourrait qualifier de « thriller mystico-sirupeux ». Un concept aussi rigolo sur le papier que peu convaincant à l’écran.
La poignée de survivants d’un crash aérien est confiée aux soins de Claire Summers, une jeune psychothérapeute inexpérimentée qui peine à obtenir leur confiance. Elle se heurte notamment à Eric, sorti étrangement euphorique de l’accident, qui refuse son aide mais la drague sans vergogne. Après avoir découvert que les versions des passagers contredisent la théorie de la compagnie aérienne selon laquelle le crash est le résultat d’une erreur humaine, Claire constate que ses patients disparaissent les uns après les autres, et décide de mener sa propre enquête. Que cache la compagnie aérienne ? Qui est cet homme hagard qui rôde autour des survivants ? Que sont devenus les disparus ? Claire pourra-t-elle compter sur son supérieur et mentor ? Pourquoi celui-ci s’obstine-t-il à lui donner rendez-vous dans les endroits les plus fantaisistes ? Claire résistera-t-elle aux avances du très insistant (mais charmant) Eric ?
Pour répondre à ces passionnantes questions, Les Passagers suit dans un premier temps la piste du thriller politique, mais ne s’y aventure pas bien loin. Comme dans beaucoup de films américains contemporains, le scénario est teinté d’une certaine dose de paranoïa – quelqu’un, quelque part, nous cache la vérité – et d’une méfiance (pas forcément injustifiée) envers les compagnies multinationales. Par ailleurs, le thème du crash aérien, et cette idée d’une explication officielle qui ne tient pas la route, constituent autant de références, conscientes ou inconscientes, aux attentats du 11 septembre 2001 et aux théories du complot qui ont suivi. Sur ces questions, Les Passagers se garde bien de présenter le moindre début de point de vue : le film n’est que révélateur d’une certaine tendance du cinéma américain où les angoisses contemporaines, notamment conspirationnistes, viennent se nicher jusque dans les productions les plus mineures, mais ne servent le plus souvent que de mauvais prétextes pour installer un suspense de pacotille.
C’est sur le terrain de la comédie romantique que le film s’en sort le mieux, grâce aux comédiens – ou plutôt grâce à Anne Hathaway, qui à elle seule parvient à illuminer Les Passagers. Ayant survécu au crash de Meilleures ennemies, son précédent film, elle donne à Claire une fragilité frémissante assez émouvante, et rend crédible cette figure de thérapeute débutante dépassée par les événements. Si son physique (visage fin, grands yeux, grande bouche) en font l’archétype de la comédienne américaine des années 2000, ses traits expressifs et son air de jeune fille trop sage évoquent une lointaine descendante d’Audrey Hepburn. Ainsi, son duo amoureux avec Patrick Wilson fonctionne – malgré la coiffure à la Tintin du second, qui n’aide pas vraiment.
La mise en scène de Rodrigo García, qui se contente de reprendre l’esthétique et les codes des séries américaines (il a réalisé certains épisodes de Six Feet Under et des Soprano, entre autres), peine à donner un minimum de souffle et d’ampleur à l’intrigue, mais a au moins le mérite de la modestie. L’absence relative de moyens, que l’on sent notamment dans la reconstitution du crash (peu convaincante mais brève et n’en rajoutant pas dans le spectaculaire), joue également en faveur du film, lui conférant un petit charme de série B, ténu mais réel.
Cela étant dit, on ne se risquera pas à conseiller la vision des Passagers – la faute à une pirouette scénaristique finale qui fait baigner les derniers instants du film dans une bigoterie pénible et typiquement américaine. On n’en dira pas plus, pour ne pas risquer de recevoir un tombereau de courriers indignés et accessoirement de gâcher le plaisir des spectateurs peu regardants en termes de divertissement, et on se bornera à signaler que le thriller haletant promis par le pitch, après s’être laissé noyer dans l’eau de rose, finit englué dans une religiosité revue à la sauce new age – l’ensemble évoquant l’adaptation d’un roman de Marc Levy par un scénariste des X‑Files. Effrayant.