Signe des temps : même la comédie grand public semble se convertir à l’anticapitalisme. Dans leur nouveau film, Gérard Bitton et Michel Munz font mine de prendre la défense du petit travailleur français contre les méchants banquiers-escrocs. Mais si le discours paraît évoluer, ce n’est hélas pas le cas de la mise en scène – télévisuelle –, des ressorts comiques – usés –, et de la philosophie générale de ce cinéma – qui ne montre pas plus de respect pour ses personnages que pour ses spectateurs, et entretient un rapport obsessionnel et ambigu à la réussite et à l’argent. Comme il est dur de se débarrasser du bling-bling quand on a scénarisé les deux La Vérité si je mens ! et qu’on est financé par TF1 !
Tiré à quatre épingles, Julien Foucault (Gérard Lanvin, de moins en moins expressif) arrive sur son lieu de travail, une importante banque d’affaires. À l’entrée, dédaignant le Financial Times parmi la pile de journaux qui s’offrent à lui, il choisit L’Équipe. Incarnerait-il un banquier aux goûts simples, proche du peuple ? Non : Julien Foucault est le cuisinier des banquiers, discret, compétent, dévoué. Apprenant qu’il va être bientôt viré après dix-sept ans de bons et loyaux services et que ses employeurs refusent de lui prêter l’argent pour réaliser son rêve – ouvrir un restaurant avec son ami Étienne (Jean-Pierre Darroussin, de moins en moins chevelu) –, il se met à les espionner, et se sert des informations confidentielles qu’il collecte pour réaliser de confortables profits en bourse. Mais l’arnaque prend de l’ampleur, et il devient de plus en plus dur de la garder secrète.
Il y avait là matière à une comédie alerte, à l’américaine : un engrenage scénaristique voué à l’emballement, au service d’une satire sociale tout à fait dans l’air du temps. Hélas, Erreur de la banque en votre faveur se contente de resservir paresseusement de vieilles recettes. Formellement, rien ne distingue le film du tout-venant des comédies calibrées par et pour le petit écran : l’image est laide, la mise en scène plate, sans rythme ni idées. Tout le potentiel comique repose sur le charme (relatif) des acteurs, et sur des répliques qui, à quelques exceptions près (« Travailler plus pour gagner plus, personne n’a jamais prétendu que ça s’adressait aux mêmes », notamment), peinent à arracher un sourire.
D’autres effets comiques sont carrément grossiers, dans tous les sens du terme : ainsi, après avoir lui avoir récité du Shakespeare, pour qui l’amour voit avec l’âme et non avec les yeux, ceux d’Étienne/Darroussin s’égarent sur les fesses de la jeune Harmony (Jennifer Decker) – moulées dans son jean, et cadrées, bien sûr en gros plan – puis lâche à voix haute : « C’est vrai qu’elle est bonne ! » Plus tard, une fois leur liaison consommée, quand elle lui fera part de ses craintes pour les épreuves du bac, il avouera la trouver « brillante à l’oral »… Tout l’humour du film n’est heureusement pas du même calibre, mais le passage est révélateur du regard que portent Munz et Bitton sur leurs personnages féminins. Car, comme toujours dans ce cinéma-là, les femmes n’ont aucun rôle à jouer, sinon décoratif. Leur présence, purement conventionnelle, est avant tout destinée à mettre en valeur la masculinité des personnages principaux – masculinité virile chez Lanvin, fragile chez Darroussin. Ainsi, elles constituent soit un but à atteindre, soit un danger pour la précieuse amitié des héros. C’est Harmony qui fera perdre pied Étienne en le larguant pour un petit jeune, ce qui l’amènera d’abord à décevoir son ami Julien au moment où celui-ci a le plus besoin d’aide, puis à oublier le service essentiel qu’il est censé lui rendre…
On notera au passage le retour d’un thème cher au cinéma des années 30 : les petites jeunes filles (ici, une mineure) qui tombent sous le charme de vieux beaux. Si elles sont moins perverses que les femmes fatales d’avant-guerre, leur égoïsme inconscient en fait tout de même de dangereuses garces. Ce n’est pas le seul lien que le film de Munz et Bitton entretient avec cette époque : leurs méchants banquiers, aristocrates aux mines et à la morgue vaguement balladuriennes qui se vantent ouvertement d’appartenir à des familles riches depuis deux cents ans, semblent tout droit sortis de l’imagination d’un cinéaste de l’entre-deux-guerres. Impossible de reconnaître dans ces caricatures hors d’âge les actuels prédateurs de la finance mondialisée : la satire y perd beaucoup en acuité et en pertinence.
De toute évidence, l’adéquation du film avec une certaine actualité relève plus du calcul opportuniste que d’une prise de conscience politique ou sociale. C’est dans leur vision du « petit peuple » que le cynisme des deux réalisateurs-scénaristes éclate le plus ouvertement. Ils éludent soigneusement la désespérance sociale – le plan sur un clochard avachi devant la banque est si bref qu’il en devient subliminal – et se concentrent sur des Français moyens, râleurs, débrouillards et magouilleurs. Encore une fois, on se croirait devant un film des années 1930, sauf que désormais cette « France d’en bas » est clairement regardée du dessus, avec un mépris à peine dissimulé. Julien et Étienne sont en effet l’objet des attentions de tout leur quartier, qui ayant appris leur bonne fortune cherche à profiter de l’aubaine : c’est le prétexte à la mise en scène peu ragoûtante de la rapacité populaire. Un exemple parmi d’autres : un voisin, prétextant le nécessaire placement de sa maman gâteuse en institution spécialisée, mendie un conseil aux apprentis boursicoteurs, mais choisit en définitive de s’acheter une télé plasma…
À ce titre, l’évolution du personnage d’Étienne est symptomatique. Joué par Darroussin, acteur dont les sympathies de gauche sont connues, c’est un artiste et un semi-marginal – mais dont l’appartement fait tout de même plus bourgeois que bohème – qui se montre au départ réticent face aux perspectives d’enrichissement rapide proposées par son ami. « Parfois tu m’fais peur, on dirait un communiste », lui lance d’ailleurs Julien/Lanvin, excédé par ses scrupules. Mais Étienne se laisse vite prendre au jeu, jusqu’à bafouer son amitié avec Julien : le seul personnage à proposer un regard un tant soit peu lucide sur l’amoralité du capitalisme financiarisé est ainsi implicitement présenté comme un jaloux à la morale flageolante, le film laissant entendre que sous chaque « communiste », il y a un capitaliste qui sommeille… « J’me suis comporté comme une merde », s’excusera d’ailleurs Étienne, ce à quoi Julien répondra, blasé : « T’es comme tout le monde, c’est tout. » Ces deux lignes de dialogue sont plus révélatrices de l’idéologie véhiculée par le film que sa prétendue morale, exposée par une série de lieux communs (« on n’a pas besoin d’être riche pour être heureux »), et assénée avec d’autant plus d’insistance que tout ce qui est raconté en constitue le permanent déni.
À la fin, non seulement l’arrogance des méchants banquiers sera punie, mais les gentils auront amassé beaucoup d’argent – une musique triomphale venant surligner leur victoire. Jusqu’à sa toute dernière image, Erreur de la banque en votre faveur aura célébré le culte de l’Argent-roi, rejoignant la masse des productions récentes obsédées par le fric. Il suffit de comparer son affiche avec celles d’autres films français de ces derniers mois, où les billets de banque s’étalent d’une manière décomplexée, en tapis, en piles, en pluie : Ca$h, Passe-Passe, Sans arme, ni haine ni violence, et, bien sûr, Ah ! si j’étais riche, déjà réalisé par le duo Bitton-Munz. Leur nouveau film devrait faire un carton, tout comme Coco, première réalisation d’un humoriste populaire qui a récemment pris position pour le maintien du bouclier fiscal. En temps de crise, le public continue de se ruer en masse vers des comédies qui le méprisent et excitent son appétit pour un mode de vie indécent qu’il ne peut pas s’offrir ; on peut s’en étonner, on doit surtout s’en inquiéter.