Réalisateur de plusieurs téléfilms remarqués, Alain Tasma plonge une poignée de personnages dans une période trouble de l’histoire récente : quelques mois avant le déclenchement de la première guerre du Golfe en 1991, la peur d’une troisième guerre mondiale s’empara de l’Occident, et surtout d’Israël qui se pensait directement menacée par l’Iraq. Mêlant habilement petite et grande Histoire, Ultimatum parvient à la fois à dresser le portrait touchant d’un couple qui se délite, et celui d’un pays tout entier qui, pendant quelques jours, sombra dans une psychose collective.
Israël, 31 décembre 1990 : alors que l’ultimatum lancé par l’ONU à l’Iraq arrive à expiration dans quelques jours et que Saddam Hussein menace de lancer des missiles chargés d’armes chimiques et bactériologiques sur le pays, la jeunesse juive fait la fête comme si la fin du monde approchait. Pendant qu’en France, ses parents, abreuvés d’informations alarmistes, se rongent les sangs, l’étudiante Luisa est quant à elle surtout tourmentée par sa relation orageuse avec son petit ami Nathanaël, jeune peintre égoïste et misanthrope qui survit en travaillant comme vigile dans Jérusalem-Est. Autour d’eux, une poignée de personnages tentent de vivre leur vie tandis qu’au fil des jours la tension devient de plus en plus palpable.
Même s’il s’éparpille un peu dans ses intrigues secondaires, le récit tourne principalement autour de Luisa et de Nathanaël. Si l’on a déjà vu mille fois des histoires de couples mal assortis qui se quittent pour mieux se retrouver et se retrouvent pour mieux se quitter, le film fait preuve d’assez de subtilité dans le traitement de ce sujet rebattu. Les situations les plus convenues (re)deviennent touchantes à l’écran, grâce à une vraie sensibilité dans l’écriture et un sens certain de l’observation – les scènes fourmillent de détails justes. Les acteurs sont également très convaincants : Jasmine Trinca, fraîche et frémissante, et surtout Gaspard Ulliel dans un rôle de beau gosse lunatique et jaloux qui fait subir son mal-être à son entourage, et qui pourrait devenir résolument antipathique s’il n’était pas si bien défendu. Les autres personnages, même ceux dont l’apparition reste très fugitive comme ce lucide chauffeur de taxi joué par le grand acteur israélien Moni Moshonov, sont également joliment troussés et campés.
On pouvait bien sûr craindre qu’en se concentrant sur des histoires d’amour et de famille dans un contexte de crise internationale et de panique nationale, Ultimatum ne se montre quelque peu inconséquent. Et il est vrai que Luisa et Nathanaël s’aiment et se déchirent comme l’ont fait et le feront beaucoup d’autres jeunes gens, et qu’ils pourraient vivre n’importe où ailleurs, à n’importe quelle autre époque. Mais au-delà de la radiographie d’un couple en crise, le film parvient aussi, par petites touches, à restituer l’atmosphère d’une nation qui prend peur – une peur alimentée par les médias et qui s’insinue progressivement dans chaque petit acte de la vie courante. La mise en scène parvient à donner une sensation d’urgence en suivant chaque geste des personnages, et en ménageant quelques moments de pur effroi (le regard paniqué de la mère dont le jeune bébé se retrouve enfermé dans un « berceau à gaz ») mais également des passages qui semblent comme suspendus dans une atmosphère d’apocalypse imminente – comme cette belle scène nocturne, fantomatique, où une femme roule seule sur une autoroute déserte.
Ainsi, si le propos d’Alain Tasma et de sa scénariste Valérie Zenatti, qui adapte ici son premier roman, n’est ni d’analyser ni de condamner la propagande qui fit croire au monde entier que l’Iraq possédait la « quatrième armée du monde » (on sait aujourd’hui qu’elle était en carton-pâte…), ils en montrent quand même ses effets concrets sur la vie des individus, et sur un pays tout entier : des marginaux qui prophétisent l’apocalypse, mais aussi des commerçants qui font payer à prix fort de miteux kits de survie que leurs clients s’arrachent, des conversations quotidiennes qui se laissent contaminer par un seul et unique sujet… Pour le spectateur de 2009, le rapprochement avec l’insupportable bourrage de crânes autour de la « grippe A » est bien sûr inévitable ! Ultimatum enregistre également le changement dans la manière dont les nations se font la guerre. Il n’est ainsi plus question de mobilisation générale ni de départ au front : venue d’on ne sait où, la mort tombe directement du ciel, et les civils n’ont plus qu’à se terrer chez eux en espérant qu’elle veuille bien les épargner. Enfin, les auteurs ont eu la décence de ne pas faire l’impasse sur la question palestinienne, grâce à l’amitié entre Nathanaël et un cafetier arabe qui rappelle quelques vérités opportunes – par exemple que si le gouvernement a fourni à tous les Israéliens des masques à gaz pour se protéger en cas d’attaque chimique, leurs voisins palestiniens, eux, n’ont rien reçu…
En traitant d’un sujet original et très ambitieux avec une surprenante et rafraîchissante modestie, et en renouvelant les codes usés de la chronique amoureuse, Ultimatum apparaît comme une réussite aussi sympathique qu’inattendue. On attend donc avec intérêt les prochains films réalisés par Alain Tasma ou scénarisés par Valérie Zenatti.