Date limite – qui bénéficie, une fois n’est pas coutume, d’un titre francisé et traduit à peu près correctement –, apparaît comme une parenthèse entre l’énorme succès public de Very Bad Trip, l’an dernier, et la sortie de sa suite, actuellement en cours de tournage. Pour son nouveau film, le réalisateur, scénariste et producteur Todd Phillips, en passe de devenir le nouvel homme fort de Hollywood, s’est offert une star (Downey Jr), et a parsemé son road movie comique de quelques plans en hélicoptère, cascades et autres poursuites automobiles. Mais si la force de frappe augmente, les recettes restent les mêmes, et l’inspiration faiblit.
D’Atlanta, l’architecte Peter Highman s’apprête à prendre un avion pour Los Angeles. Il doit y retrouver sa femme, sur le point d’accoucher de leur premier enfant. Malheureusement pour lui, sa route croise celle d’Ethan Tremblay, acteur raté et véritable aimant à catastrophes. Placé sur la liste noire des compagnies aériennes, ayant perdu son argent et ses papiers, Peter est contraint de traverser les États-Unis en compagnie d’Ethan.
Un psychorigide obligé de supporter un crétin gaffeur pendant toute la durée d’un long métrage : pour un spectateur français, cette trame évoque immanquablement le cinéma d’Édouard Molinaro (L’Emmerdeur) et surtout celui de Francis Veber (La Chèvre, Les Compères, Les Fugitifs…) Alors que cette même semaine sort également en salles The Dinner, une adaptation du Dîner de cons, force est de constater que ce sont les conventions les plus éculées de la comédie franchouillarde qui semblent désormais inspirer Hollywood.
Comme le public et l’époque ne sont pas les mêmes, l’emballage a été remis au goût du jour. L’humour du film repose ainsi sur l’humiliation systématique de ses personnages, et le scénario présente l’habituel quota d’allusions sexuelles très explicites, et de blagues sur les juifs, les homosexuels, etc. Le politiquement incorrect étant désormais inscrit dans le cahier des charges des comédies américaines, il n’apparaît plus que comme une convention parmi d’autres. Si l’on excepte certains passages qui flirtent avec les limites du déplaisant (la mise au pas du gosse turbulent met particulièrement mal à l’aise), la provocation reste sage, l’apologie des drogues douces constituant la seule (légère) audace.
On retrouve donc les mêmes défauts que dans le précédent film de Todd Phillips, mais là où Very Bad Trip bénéficiait d’un point de départ brillant, le schéma narratif bien plus conventionnel de Date limite n’aide pas à camoufler ses facilités. Le scénario abuse ainsi de ficelles énormes pour maintenir ensemble les deux personnages que tout oppose : on nous refait par exemple le coup de l’échange de valises à l’aéroport ! Date limite verse également dans la sensiblerie (la musique vient signaler au spectateur les moments émouvants) alors que Very Bad Trip assumait de bout en bout sa méchanceté. Et tandis que Very Bad Trip était mené tambour battant, Date limite accuse de sévères baisses de rythme.
Si le film fonctionne malgré tout, c’est non seulement parce que ses recettes, quoiqu’usées, sont éprouvées, mais aussi grâce aux acteurs, excellents – et tout particulièrement Robert Downey Jr, parfait en pince-sans-rire qui parvient à rester souverainement détaché au milieu d’un cyclone de mésaventures. Enfin, reconnaissons que quelques moments et dialogues sont franchement hilarants, particulièrement quand le film s’aventure sur le terrain du nonsense (la tentative de conversation dans le café) ou sur celui de la satire de l’époque (excellentes scènes de paranoïa sécuritaire dans l’aéroport et dans l’avion).
Reste qu’avant tout, Date limite reconduit le modèle rétrograde inauguré par le matriciel 40 ans, toujours puceau – dont on ne dira jamais assez à quel point le titre-même avait valeur programmatique. Dans les comédies post-Apatow, le mâle américain, adulescent bedonnant, s’efforce de ne pas grandir. Sa virilité inquiète, travaillée par une fascination/répulsion pour l’homosexualité (les manières efféminées du personnage de Galifianakis, la proximité sexuelle et tactile des deux héros), trouve refuge dans l’irresponsabilité et l’immaturité. Son cercle d’amis constitue le meilleur rempart contre la réalité – la complicité masculine dépassant les clivages de classe (ici, Downey Jr interprète un architecte aisé, Galifianakis un marginal fauché). Quand il est finalement contraint, par la force des choses, à se « ranger », le futur mari ou futur père se paie une dernière virée entre amis pendant que bobonne, symbole de l’ennui domestique, patiente gentiment à la maison.
Glorification de l’amitié masculine vue comme communion régressive, mise à l’écart des figures féminines et morale foncièrement conservatrice : la vieille pantalonnade hexagonale et la jeune comédie américaine semblaient effectivement destinées à se rencontrer…