Ravagé par deux décennies de guerre civile, l’Angola n’est pas encore tout à fait relevé de toutes ses blessures. Dans Na Cidade Vazia, la réalisatrice met en scène un Luanda fait de débrouilles, de belles rencontres mais aussi de fréquentations peu recommandables.
Mettre en scène des enfants, c’est souvent quitte ou double. Avec Roldan Pinto João, jeune héros du film, la réalisatrice a visé plus que juste. Venant du monde du théâtre (elle a mis en scène de nombreuses pièces et monté une troupe de théâtre d’enfants), elle parvient, dans ce film, à le diriger précisément, au point qu’on ne sait plus quelle est la part du travail de direction de l’acteur et la part du naturel. Chose rare pour un premier long-métrage, et heureuse tant le film tient surtout par l’interprétation du jeune garçon.
Roldan Pinto João est N’Dala. Il vient de la province du Bié, bien loin de la capitale. Pendant la guerre, toute sa famille a été assassinée ; lui et d’autres enfants sont recueillis par des religieuses qui les ramènent en avion à Luanda. Mais à peine atterri, N’dala parvient à s’enfuir et rejoint seul la grande ville. Passant de deux échelles d’environnement bien différentes (le calme et le cocon familial de la brousse, puis l’agitation de la capitale), il découvre un monde qui lui était totalement inconnu.
Na Cidade Vazia (littéralement « dans la ville vide ») aurait pu nous plonger dans un monde violent et inhumain, duquel toute solidarité est absente. Récemment, Un héros de Zézé Gamboa (sorti le 7 décembre 2005), abordait lui aussi le thème de l’après-guerre en Angola. Dans ce film, le personnage principal est un ancien héros de la guerre, dont personne ne fait cas une fois sa démobilisation advenue, et alors qu’il a perdu une jambe. Les parallèles sont nombreux entre les deux histoires ; montrer les conséquences de la guerre (d’un côté un orphelin, de l’autre, un soldat qui a marché sur une mine), et suivre les pas des héros dans la découverte d’une capitale elle aussi meurtrie par la guerre (couvre-feu, messages d’appel de familles de disparus à la radio et à la télévision). Dans les deux cas, les héros sont seuls et aspirent à reconstituer une nouvelle famille autour d’eux.
Depuis sa création, il y a cinquante ans, le cinéma africain s’est très souvent attaché à traiter de thèmes historiques, sociaux : conséquences des guerres (La Nuit de la vérité, de Fanta Régina Nacro, sorti en juillet 2005), traditions ancestrales remises en question (Moolaadé, de Sembène Ousmane, également sorti en mars 2005), relations entre ancien pays colonisés et ancien pays colonisateurs (L’Afrance, du Sénégalais Alain Gomis, sorti en 2002). L’année dernière, au Fespaco (festival panafricain de cinéma de Ouagadougou), c’est la programmation venant d’Afrique du Sud qui se détachait ; l’Étalon de Yennenga est revenu à Drum, de Zola Maseko, qui évoquait la période de l’apartheid, tout comme Zulu Love Letter, de Ramadan Suleman, qui sortira cette année sur nos écrans. Beaucoup de cinéastes africains s’emparent ainsi de thèmes politiques, pour mettre en scène leur histoire collective, et la transmettre en dehors de leurs frontières.
Cependant, comme l’affirme Maria João Ganga dans sa note d’intention pour Na Cidade Vazia, « il serait trop aisé de tomber dans le sensationnalisme de la guerre ». Du passé du jeune héros N’Dala, on ne verra rien, si ce n’est une fugace image de souvenir d’une tuerie. La réalisatrice s’attache à suivre son parcours individuel. Symboliquement, elle s’empare du personnage de Ngunga, héros adolescent emblématique de la période révolutionnaire de l’Angola, parti seul avec son bagage, remontant le fleuve, pour voir si les hommes sont partout égaux. Dans le film, Ngunga est joué dans une pièce de théâtre par Zé, un jeune homme de quinze ans se prenant d’amitié pour N’Dala, et le recueillant. Avec la rencontre des deux jeunes garçons, la réalisatrice montre comment une rencontre peut se transformer rapidement en amitié. Mais ce ne sera pas la seule rencontre que fera l’orphelin, et l’une d’elles lui sera fatale. Fragilisés par une situation économique difficile et des souvenirs de guerre douloureux, les Angolais vivent de débrouille, allant jusqu’à utiliser les enfants. D’après le regard de la cinéaste, c’est des plus jeunes que peut venir l’avenir du pays. Des enfants encore plein de rêves, d’innocence et de spontanéité.
Joli coup que ce premier film, dans lequel les lumières célèbrent la beauté qui existe encore parmi les ruines. En bord de mer, N’Dala rencontre un pécheur, certes un peu caricatural, mais qui représente une figure de père indispensable pour un orphelin, qui lui parle de sirènes. Les beaux plans cadrés près des visages sont autant de mains tendues vers ce peuple, et vers l’horizon de l’océan d’où viennent les rêves, parfois brisés.