Sexy Boys transposait en France les recettes d’American Pie, Modern Love celles des comédies romantiques et chorales. C’est aujourd’hui le documentaire engagé, tel qu’il a été reconfiguré par Michael Moore il y a vingt ans, qui inspire le décidément éclectique réalisateur et scénariste Stéphane Kazandjian, pour un résultat plaisant et moins inoffensif qu’il peut paraître à première vue.
Joseph Klein est fier de nous présenter son nouveau documentaire corrosif. Cette fois-ci, la cible de de ce « fouille-merde » professionnel (il assume l’appellation), est un puissant homme d’affaires, le très médiatique Michel Ganiant (sic). Dans un premier temps, Ganiant a éconduit Klein sans ménagement. Après réflexion, ce redoutable communicant a accepté d’être filmé, aussi bien dans un cadre professionnel que privé, en échange de garanties draconiennes. Klein a‑t-il signé un pacte avec le diable ?
Moi, Michel G., milliardaire, maître du monde, qu’on appellera juste Michel G. pour faire court, est donc un « documenteur », et met en scène un réalisateur qui serait une sorte d’hybride entre les principales figures de l’enquête à la première personne, Michael Moore et Pierre Carles, passées à la moulinette de l’humour Canal. Ce Joseph Klein a vraiment tout de la tête à claques – impression renforcée par le surjeu de son interprète, Laurent Lafitte – mais c’est visiblement vers lui que penche la sympathie du film.
Il faut dire qu’en face, Stéphane Kazandjian a chargé la barque. Michel Ganiant est un wonderboy plein de vent très inspiré par l’ancien patron d’Universal, Jean-Marie Messier. Le titre même du film fait référence aux sketches des Guignols de l’Info, qui il y a dix ans affublaient celui qui dirigeait alors leur chaîne du sobriquet de « J6M » : « Jean-Marie Messier Moi-Même Maître du Monde ». Raciste, arriviste, vaniteux et veule, Ganiant représente également la quintessence d’une certaine classe dirigeante bling-bling et « décomplexée ». Son épouse, qui pousse la chansonnette pour sauver les dauphins, et que son mari exhibe comme un trophée, est quant à elle une caricature réjouissante de Carla Bruni-Sarkozy.
Stéphane Kazandjian fait ainsi feu de tout bois, multipliant les références à l’actualité (patrons pris en otage, etc.) et les piques contre le petit cercle consanguin de l’élite politico-économique, avec une verve satirique assez réjouissante. L’humour qu’il déploie n’est pas toujours des plus fins, mais il fait souvent mouche, et quelques répliques sont franchement hilarantes. La mise en scène est quant à elle pleinement adaptée à son sujet, puisqu’elle s’attache à épuiser toutes les ficelles du genre qu’elle parodie : musique et montage clipesques, lourds clins d’yeux adressés aux spectateurs, séquences d’animation, et autres passages obligés (scènes d’auto-remises en question, témoins traqués au téléphone ou dans la rue, etc.) Soit dit en passant, pasticher des productions fauchées représente aussi une méthode ingénieuse de masquer le peu de moyens dont on dispose soi-même…
Très cynique, Michel G. laisse entendre que les trublions subversifs ont beau être sincères et intègres dans leur démarche, ils n’ont aucun impact réel sur le monde, car ils ne représentent au fond qu’un rouage du système qu’ils entendent dénoncer. Même s’il n’apporte pas de véritables réponses, le film a ainsi le mérite de poser une vraie question, celle de la récupération de la contestation, fut-elle aguerrie et consciente du risque d’être manipulée. Klein, et Kazandjian lui-même, ne finissent-ils pas par faire de Ganiant un personnage certes médiocre, mais attachant ? Conscient de ce problème, qu’il met assez subtilement en scène, Michel G. théorise sa propre impuissance, et se mue en (modeste) réflexion sur les limites de la subversion médiatique – et sur les siennes propres. Quand on compare avec le peu que proposent les autres comédies sociales récentes (Les Femmes du 6e étage) ou Ma part du gâteau), le message de ce petit film roublard n’est pas inintéressant.