Avec Infiltration, le réalisateur israélien Dover Kosashvili délaisse la communauté géorgienne qu’il avait mise en scène en 2001 (le remarqué Mariage tardif) et en 2003 (l’oubliable Cadeau du ciel) pour un film au propos et à l’ambition a priori plus amples. Les faiblesses scénaristiques et la mollesse formelle ne s’en font que plus cruellement ressentir.
Ne pas se fier au titre : Infiltration n’est pas un film de guerre ou d’action, et il n’y est question d’aucune opération militaire secrète se déroulant au-delà des lignes ennemies… À vrai dire, l’ennemi, on ne le verra pas, et c’est à peine s’il sera même nommé. Le film, qui se déroule en 1956 (c’est-à-dire moins de dix ans après la création de l’État juif et le premier conflit israélo-arabe), reconstitue la vie quotidienne dans un camp d’entraînement destiné à accueillir trois mois durant des unités non combattantes – et « l’infiltration » n’est ici que le nom d’un exercice parmi d’autres.
Dans un pays en état de siège permanent, où la conscription est obligatoire et l’imaginaire guerrier très présent, effectuer son service militaire dans l’un de ces camps était souvent vécu comme une relégation, voire une humiliation. De fait, les unités non combattantes étaient composées par des citoyens jugés inaptes au service normal – parce que physiquement diminués ou intellectuellement limités, ou parce que rétifs à toute forme de discipline.
Dover Kosashvili et son coscénariste ont eu visiblement du mal à trancher dans la matière très dense du copieux best-seller israélien qu’ils ont choisi d’adapter. Ils ont délaissé de nombreuses pistes ouvertes par le livre, pour se concentrer sur trois personnages : le beau gosse nonchalant qui accumule les conquêtes féminines, le kibboutzim issu de l’élite ashkénaze qui aurait voulu être parachutiste, et la tête de Turc du lot, un séfarade passablement efféminé.
Le problème, c’est que ces portraits ne sont qu’esquissés, malgré la (trop) longue durée d’un film qui se traîne tout de même sur près de deux heures. Les affres sentimentales hors sujet du joli cœur du régiment prennent beaucoup trop de place, au détriment des autres histoires, potentiellement plus intéressantes. Aucun des personnages, principaux comme secondaires, ne suscite au fond la moindre empathie, tant ils sont filmés avec une sorte de distance qu’on ne peut mettre que sur le compte d’une absence d’implication de la part du réalisateur. Quant aux acteurs, ils ne sont pas suffisamment bons (à l’exception notable de Michael Aloni, qui campe un sous-officier inquiétant et doucereux) pour compenser l’étrange détachement qu’adopte la mise en scène.
Oscillant sans cesse entre un comique troupier pas très fin (la plupart des conscrits semblent droit sortis de la Septième Compagnie), qu’un petit air de fifre vient lourdement appuyer, et des passages plus dramatiques, Infiltration ne choisit jamais sa voie ni son ton. Le propos est lui-même très flou : Kosashvili entend-il dénoncer le nationalisme et le militarisme forcenés de son pays, ou célèbre-t-il au contraire les vertus unificatrices du service militaire ? Cherche-t-il à mettre en lumière les fractures profondes (religieuses, culturelles) qui parcourent la société israélienne ? Le personnage ambigu de l’instructeur constitue-t-il un modèle ou un repoussoir ? Le réalisateur semble s’être dispensé de proposer un quelconque point de vue sur ce qu’il filme, et se contente de flatter la nostalgie de son public israélien à travers une adaptation illustrative dont la sortie sur les écrans français risque de paraître pour le moins superflue.