Difficile d’ignorer qu’Humbert Balsan, le producteur de ce film, s’est suicidé pendant le tournage. Mais difficile aussi de penser du bien de ce polar. Si l’histoire d’un journaliste cynique fasciné par l’argent est un moyen de réaliser un polar tout en s’attachant à dénoncer la corruption régnant dans le monde de l’agroalimentaire, le film se révèle pourtant, au bout du compte, extrêmement mou et plat. La complexité de l’intrigue, au lieu de nous donner le plaisir du vertige, nous assomme.
Il n’y a plus aucun doute à avoir sur la chose : Antoine de Caunes est un mauvais acteur. Cet Ami parfait en offre une ample démonstration. La consistance qu’il donne à son personnage est d’une telle faiblesse que l’on est même amené à se demander s’il n’est pas uniquement là pour prêter son corps et sa voix à ce rôle, tel une marionnette, et qu’il pense à autre chose pendant ce temps-là. Mais bon, ne le blâmons pas trop car, dans cette histoire, il faut être juste et poser la bonne question : qui est le coupable ? Le réalisateur ou l’acteur ? La poule ou l’œuf ?
Le scénario de ce film est dans la pure tradition de ce que l’on appelle la série B ou le film noir : suite à un mystérieux accident, un homme n’a plus aucun souvenir de ce qui s’est passé le mois précédent. Or, il découvre qu’il a durant ce mois totalement changé de vie, tout en ignorant le pourquoi du comment. Ayant l’impression qu’on lui cache quelque chose, il décide, seul contre tous, de mener lui-même l’enquête afin de comprendre pourquoi sa vie est devenue ce qu’elle est, pourquoi il a quitté sa femme, et pourquoi celle-ci est aujourd’hui dans les bras de son meilleur ami.
Complot, trahison, révélation, financiers louches : tous les ingrédients d’un bon polar sont sur le papier. Mais il manque quelque chose de primordial, quelque chose sans lequel le film n’est qu’un vulgaire scénario tiré d’un mauvais roman policier acheté à la hâte dans une gare. Ce qu’il manque, c’est le rythme, la force, la nervosité, c’est le fait de réussir à créer une spirale dans laquelle le personnage soit pris. Ce que n’arrive pas à faire le réalisateur, c’est à créer un sentiment de vertige sans lequel ce polar n’est qu’une simple accumulation de faits plus ou moins crédibles. C’est grâce au rythme qu’un scénario abracadabrantesque peut malgré tout prendre le spectateur à la gorge et le coller au siège jusqu’au dénouement. Un spectateur de série B est capable de tout gober, de se passionner pour une histoire aberrante, pour le récit d’un caniche tueur de nonnes, à partir du moment où il est pris par la mise en scène. Sans cet élément vital, sans une mise en scène qui est elle-même un des éléments qui participe à la chute et à l’oppression du personnage, le film n’a aucun intérêt. Et c’est ce qui se passe. Plus que les faits mêmes, un personnage langien, c’est-à-dire un personnage évoluant dans un univers hostile qui est en train de l’anéantir, est oppressé par le regard de Lang, par le rythme, l’enchaînement des plans, les cadres tranchants. C’est parce que Lang sait inscrire un personnage dans un espace que ses histoires, ses séries B, restent de purs chefs-d’œuvre. Un personnage se heurte à la réalité, aux différentes embûches qu’un scénario a soigneusement réparties sur son chemin, mais aussi aux cadres, à l’espace, aux limites définies par un metteur en scène sadique comme un chat jouant avec le cadavre agonisant d’une souris qu’il va dévorer. Mais de Caunes est une souris qui agonise dès le début du film, et le réalisateur (le chat) est blasé car il constate que son acteur (la souris) ne veut même pas y mettre un peu du sien.
Les coups d’éclat tombent à l’eau, tout est d’une incroyable mollesse et, à mesure que l’histoire s’éclaircit, nous décrochons, n’y éprouvons plus aucun intérêt, alors que le film joue justement dans la surenchère machiavélique, dans la reconstitution d’un puzzle qui n’était pourtant à la base pas dénué d’intérêt. Les rebondissements, au lieu d’accélérer le pouls du spectateur, ne font que l’assommer.