Denys Arcand est la preuve que les cinéastes, ce n’est pas comme le vin, ils ne se bonifient pas forcément avec les années. Quatre ans après Les Invasions barbares, le cinéaste québecois remet donc le couvert avec cet Âge des ténèbres bien plus médiocre que le quotidien du personnage qu’il s’attache à décrire. Le cru 2007 a donc un sale goût de vinaigre.
Denys Arcand, malgré la quantité impressionnante de prix qu’il a remportée aux quatre coins du monde, c’est un peu le néant du cinéma. Les Invasions barbares (pourtant lauréat de quatre César, d’un Oscar, de deux prix à Cannes, sans compter les « Génies » au Canada) en était la preuve évidente : aucune notion du hors-champ, un montage réduit à l’équation la plus simple possible (1 image + 1 image = 2 images), une alternance monotone de champs et de contrechamps, une image laide, des situations improbables (Marie-Josée Croze en droguée avec un teint à poser pour L’Oréal), des dialogues très pompeux, des situations larmoyantes et un brin réactionnaires où l’on apprend que les idéaux (qu’ils soient perdus ou non) n’appartiennent certainement pas à la nouvelle génération. Comblé par cette avalanche de prix que l’on peut jugée imméritée, le cinéaste a eu la grandeur de revenir un temps sur Terre pour se poser cette question essentielle : « Est-ce qu’il y a quelqu’un qui aimerait être à ma place ?» Du coup, le cinéaste a tenté de s’imaginer ce que pouvait être le quotidien d’un homme qui a tout raté, banal au point que tout le monde l’ignore, femmes et filles compris. Et puis avec un peu de chance, ce portrait pitoyable fonctionnerait auprès d’un public qui, après tout, doit avoir une vie bien morne également.
Voilà donc comment Jean-Marc Leblanc est né : un jeune quinquagénaire qui, en plus d’avoir un boulot administratif chiant comme la mort, doit cohabiter avec une horde de femmes pas très arrangeantes. Entre la chef, forcément rigide parce que hiérarchiquement supérieure à lui, sa femme, working girl sous amphétamines qui a renoncé à son rôle de femme et de mère pour sa carrière professionnelle, et ses filles, scotchées à leur portable ou à leur MP3 (foutu 21e siècle), le « sexe faible », ce n’est pas de la tarte, sauf peut-être une collègue de boulot conciliante qui ne jouera jamais les emmerdeuses en raison de son homosexualité. Finalement, rien ne vaut donc les bons vieux fantasmes où les femmes, à défaut d’être des boulets, sont des bombasses prêtes à tous les excès (sexuels, bien évidemment). Se bousculent alors Diane Kruger (le versant blond de Monica Belluci : une filmographie internationale sans aucune cohérence) et Emma de Caunes en improbable journaliste survoltée, toujours prête à baisser la culotte dès que Jean-Marc Leblanc incarne, au gré de ses rêves éveillés, un auteur réputé, un acteur reconnu ou encore un homme politique victorieux.
Si la mise en scène est dépourvue de virtuosité et ne pose aucun enjeu de montage alors que le sujet aurait parfaitement pu s’y prêter, ce qui choque avant tout dans L’Âge des ténèbres, c’est la totale laideur du monde qu’Arcand dépeint avec un cynisme et une complaisance non avenus. Dans les embouteillages, les automobilistes s’agressent entre eux ou hurlent à leur portable ; dans les lieux publics, tout le monde porte un masque sur le visage pour se protéger d’une épidémie ; dans les administrations, les pauvres gens-moutons attendent pour rien ou se voient exiger de rembourser un lampadaire renversé lors d’un terrible accident qui leur a coûté les jambes (et dont ils ne sont même pas responsables) ; dans les maisons de retraites, les vieilles dames meurent dans la plus sordide des solitudes sans qu’on puisse soulager leur douleur ; même à la maison, tout part en sucette lorsque la fille aînée, qui n’a jamais eu le moindre contact verbal avec son père, fait soudainement preuve de certains talents oraux avec son jeune voisin. C’est donc un monde en déperdition qu’on veut nous montrer, mais c’est une vision d’un autre âge, celle d’un réactionnaire de gauche qui met dans le même sac, et sans aucune distinction, progrès technologique, libéralisme, et disparition totale du lien social. S’il avait fait preuve d’un peu plus de subtilité et canalisait un peu mieux son aigreur, certainement que le film aurait dépassé le stade de la médiocrité mais, définitivement, il semblerait que Denys Arcand est au cinéma de fiction ce que Michael Moore est au documentaire : un imposteur.