Courrier des lecteurs
J’aimerais réagir à un phénomène qui n’a été que mentionné par Vincent Avenel dans sa critique, qui est l’hypermédiatisation (jusque là rien de bien nouveau) sur le gimmick de « nouvelle ère du cinéma » (là, ça fait peur). En voilà un argument habile ! En gros, la campagne joue sur la corde de la révolution technologique. Pire ! C’est tout le ballet critique ou presque qui relaye le non-évènement, et en quelques parades amoureuses, à grand coup de superlatif, engouffre avec lui l’accueil du public. Une belle leçon de marketing pas très éthique…
Vous avez plus ou moins (mais pas encore assez, à mon goût) remis le film à sa place, celle d’un blockbuster fantastique, familial, un peu épique, techniquement remarquable. Avatar se défend bien dans sa catégorie, pas mieux. L’imaginaire exotique de Cameron est dépaysant mais sans surprise (versions « mollusque bleu » des incontournables du fantastique : cheval, dragon, végétaux bizarres, finalement on est dans la veine Jak & Daxter). Mais le récit est d’une conformité épouvantable, on sait tout à l’avance, le dilemme convenu, les décisions évidentes, les archétypes outranciers.
Pourtant, on effleure régulièrement un potentiel de belle fable bio, sur le rapport à la nature, la valeur de la vie. Ces effleurements, ce sont comme vous dites les citations de Miyazaki, de Oshii (notons bien, d’ailleurs, que l’imaginaire dit débordant de Cameron repose sur beaucoup de pompe ; où situer la frontière entre citation et plagiat, c’est un autre débat). Ce potentiel là, bien qu’on eût espéré en vain le voir exploité dans le déplorable District 9, on espérait à nouveau ici.
Mais hormis la belle séquence de rencontre un peu fleur bleue (Ha ha ha) les incursions du sujet apparent relèvent de l’exposition coloniale, du cliché primitiviste ringard. En fait, systématiquement, ces effleurements se mangent de plein fouet la marche pompière du vrai sujet : un récit atrocement convenu que je mentionnais plus haut. À noter l’ironique décalage entre la lyrique mort de l’ikran de Neytiri, et le violent massacre de soldats qui lui fait suite, perpétré par son ex futur époux ; il n’en faut pas plus pour faire résonner l’écho du discours vitaliste de Neytiri, et le dissiper dans le manichéen et violent apologue hollywoodien.
Un autre beau potentiel, c’est le rapport de Jake à son avatar. Cloué (comme nous !) à sa position assise, il se projette dans une renaissance qui nous engage conjointement, comme en témoigne la belle scène de découverte de son nouveau corps. Les possibilités de travail, sur la virtualité, l’inversion, la mise en abyme du statut de spectateur, mettent l’eau à la bouche. Malheureusement, c’est encore un potentiel mis de côté pour le reste du film, puisque le seul créneau employé au sujet de cette incarnation est la duplication de sa vie, et les nouveaux ressorts dramatiques qui en découlent : grosso modo, on peut mourir deux fois.
Donc voilà, Avatar est un film qui, comme tout film, et autant voire plus que ses semblables, souffre la critique — étonnant qu’il faille le rappeler. Je regrette que la scène critique française se soit enferrée dans le prolongement du discours promotionnel, et avec elle le public. Il faudrait plutôt redoubler de sévérité avec ces autoproclamations très prétentieuses, qui démontrent la fragilité du mur qui devrait séparer les distributeurs et les critiques. Il faut sauvegarder une dignité dans les campagnes de promotion !
Théo R.
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Cher lecteur,
Que d’arguments contre le nouveau film de James Cameron !
Vous lui reprochez d’avoir réalisé un film sans la moindre aspérité, ni visuellement — ce qui est unanimement salué — ni scénaristiquement, ni intellectuellement. J’ai déjà souligné les doutes que je me permettais d’avoir sur ces points, et l’interprétation pouvant en être faite — n’y revenons pas (sinon pour souligner que votre très pertinente remarque sur le spectacle barbare du massacre des humains par Tsu’tey en contrepoint invalidant du discours vitaliste de Neytiri me semble aller dans le sens de ma vision « anti-manichéenne » du film).
Je suis par contre totalement d’accord avec votre réaction contre la doxa médiatique autour de la perfection technique du film. Elle est avérée, point n’est besoin d’aller plus loin — sauf à se demander comment elle change le rapport du metteur en scène à l’image.
Car, pour le moment, la grande qualité que l’on semble trouver à la 3D version Cameron n’implique que le seul spectateur. Le fait de provoquer une immersion encore inédite dans le film — à croire que les tenants de cette ligne d’argumentation n’ont jamais été captivés par un film (ou un livre, à tout prendre) — est certes une qualité, mais la véritable question est : puisque le cinéma se pique toujours plus de reproduire le réel le plus concret, qu’en est-il de la vision du monde des réalisateurs à qui cette possibilité est offerte ?
J’ai eu, je dois l’avouer, quelques difficultés à discerner les prises de position artistiques de Cameron — ce qui me fait croire, soit que le réalisateur attend les deux nouvelles itérations de ce qu’il semble vouloir être une trilogie pour développer son propos, soit… qu’il a raté son coup.
A ce qui semble, Cameron a ouvert la porte à une technique superbe, sans réellement en saisir toutes les possibilités. Que cette seule prouesse lui vaille les honneurs dithyrambiques dont est entouré le film est, en effet, un peu triste.
Vincent Avenel
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Lire l’article de Vincent Avenel : Avatar