Courrier des lecteurs
Bonjour
Je n’avais jamais lu un tel propos neuneu sur ce film… « Et en attendant ces retrouvailles, c’est sur la solitude de Noodles que le spectateur sera invité à s’apitoyer — pas sur la détresse de la femme violentée (…) » Non sans blagues ? « les femmes sont toujours froides, manipulatrices, perverses », et les hommes ils sont comment ?
« Cet aspect d’Il était une fois en Amérique vient nuancer le plaisir » Ah bon ? Chez un neuneu qui n’a pas tout compris peut être…
Le vilain film qui fait l’apologie du viol et qui est méchant avec les femmes…
Je n’en reviens pas que la moitié de votre critique du film se fait sur sa misogynie et ses scènes de viol (vous êtes passé à côté de quelque chose…), je déteste l’expression politiquement correct mais dans le genre vous faites fort, au fait ils tuent aussi des gens par ailleurs cela ne vous gène pas ? Et le trafic d’alcool ? C’est pas beau non plus. Bizarre comme le meurtre choque moins au cinéma que le viol… Interrogez vous là-dessus : comment la fiction audiovisuelle a banalisé l’homicide, on en voit tellement que cela ne choque plus personne… Par contre, oui, des viols on en voit moins. Ce film fait il l’apologie du crime, du viol ou c’est une œuvre artistique qui s’adresse à un public adulte ?
Alors, oui Leone est sans doute macho, voire misogyne, il appartient à l’ancien monde et parle d’un ancien monde, du western où les femmes n’avaient pas le premier rôle ; plusieurs de ses films présentent en effet des scènes violentes et sexuelles vis à vis des femmes, ses héros sont des voleurs, des gangster et des tueurs (une drôle vision de l’homme non ?) pas des gentlemen, mais, vous voyez, c’est Leone une stylisation extrême de la violence.
Et le spectateur est assez adulte pour comprendre que le viol c’est bas bien quand même…et que Noodles n’est pas un boy-scout !
Mais vous pouvez critiquez tous les films sur certains aspects, la place faite aux femmes, aux Noirs, à la classe ouvrière, aux massacre des Indiens…
Vincent V.
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Bonjour,
Selon moi, toute production intellectuelle véhicule une vision du monde et obéit à un système de valeurs, qui peuvent être contestés, ou au moins discutés. Alors que beaucoup de critiques se contentent d’un point de vue purement formaliste (admirant ou rejetant les choix de mise en scène) ou strictement auteuriste (en replaçant l’œuvre dans la filmographie d’un cinéaste), je m’efforce pour ma part — avec d’autres collaborateurs de Critikat — d’intégrer à ces grilles de lecture des critères politiques et moraux. Cela fait peut-être de moi un « neuneu » « politiquement correct », pour reprendre vos expressions… Mais, il y a aujourd’hui tellement de critiques qui analysent les images sans se soucier de ce qu’elles véhiculent, et de spectateurs qui les consomment sans les interroger, que je suis prêt à prendre le risque de tomber dans l’excès inverse.
En tant que spectateur, j’ai été gêné par certaines scènes d’Il était une fois en Amérique. En tant que critique, j’ai choisi d’exposer cette gêne, de dire en quoi la complaisance de Leone dans sa « stylisation extrême de la violence » (comme vous l’écrivez vous-même), notamment quand celle-ci s’exerce sur les femmes, pouvait être problématique.
Ensuite, et contrairement à ce que vous me faites dire, je ne pense pas qu’Il était une fois en Amérique soit une « apologie du viol ». Je ne l’ai d’ailleurs pas écrit : mon point de vue est plus nuancé, car j’admire sincèrement le film (mes réserves n’occupent qu’un tiers de l’article, et non la moitié comme vous me l’écrivez). Je pointe juste ce que je considère comme une limite de Leone. S’il sait montrer comment les choix de ses personnages (le vol, le meurtre, la trahison…) finissent par provoquer leur déchéance et leur malheur (en cela, le film est profondément et magnifiquement moral), le cinéaste cesse de faire preuve d’empathie et abandonne même tout point de vue dès lors qu’il est question du viol. Et cela, je persiste et signe, a terni mon plaisir de cinéphile et d’admirateur du grand Sergio !
Ce n’est même pas tant la scène du viol elle-même qui me pose problème, mais bien la manière dont il est justifié a priori (la scène du restaurant), puis évacué par le scénario et oublié par les personnages (par la violentée autant que par l’agresseur) lors de leurs retrouvailles, trente ans plus tard. Ils font comme si rien ne s’était passé, parce que pour Leone, rien ne s’est passé. Ses propos, que je rapporte dans la deuxième note de bas de page de mon article, me semblent, sur ce point, très révélateurs.
Au risque du relativisme, je vous répondrai enfin que toute critique est subjective, et que j’assume ma subjectivité. En tant que critique, je ne prétends pas détenir la vérité sur un film, et je ne cherche donc pas à vous imposer ma « vision », mais à vous proposer un point de vue argumenté. Libre à vous, ensuite, de vous y confronter, de vous y reconnaître ou de vous y opposer. Dans tous les cas, dès lors que j’ai provoqué une réaction — voire un dialogue tel que nous en avons actuellement -, j’estime avoir rempli ma mission.
Je vous souhaite d’excellentes lectures.
Cordialement,
Sébastien Chapuys
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Je vous remercie pour votre réponse, et je m’excuse, pour ma part, de la brutalité de mon message.
Je persiste cependant à penser que votre point de vue sur ce film me semble un peu à côté de la plaque. Je partage tout à fait votre exigence morale tout en assumant ma fascination devant la violence, on ne va pas faire le débat de la violence au cinéma (Kubrick Peckinpah, Haneke, Tarantino…), mais bon, je doute qu’un film de Leone rende violent ou excuse la violence. Le point de vue politique de Leone est celui d’un anarchiste désenchanté.
Revenons aux femmes : certes, il y a une ambiguïté, un fantasme chez Leone sans doute […], pourquoi autant de scènes de violence avec elles (dans tous ses films), ce n’est pas un hasard, on pourrait dire pourquoi pas avec elles ? Puisque la violence existe déjà entre homme (tous ses héros sont des tueurs et des gangsters), la grâce du cinéma de Leone est sans doute ce mélange permanent entre la trivialité et la beauté ; je précise que la première scène n’est pas vraiment un viol et pour la scène avec Deborah je ne partage pas du tout votre point de vue en disant que le film justifie cette scène, certes il y a une empathie pour Noodles mais pas une justification, la scène est dérangeante, longue, insupportable (personne ne peut approuver son acte). Après, oui, il y deux sublimes moments : la promenade vers mer et les adieux à la gare ce qui rend son acte encore plus absurde…
Enfin bref, le débat sur le viol et la condition féminine (qui pourrait disqualifier tant de films… puisque réalisés par beaucoup de beaux pervers) me semble un peu hors de propos, comme le débat sur le meurtre pour n’importe quel film de genre.
Bref faire la moitié d’une critique (ou le tiers) sur ce sujet et ce débat (qui peut exister il est vrai) me semble particulièrement injuste,et discutable.
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Lire l’article, au moins aux deux tiers juste et indiscutable, de Sébastien Chapuys : Il était une fois en Amérique