Courrier des lecteurs
Bonjour,
je voudrais réagir à votre article au sujet de Rebelle, le dernier né des studios Pixar. Vu le peu d’indulgence dont a bénéficié Cars 2, premier faux pas des équipes d’Emeryville (le premier opus, trop enfantin, demeurait réjouissant sous bien des aspects), je m’attendais à la vision de Rebelle à ce que celui-ci trouve le même accueil. Surprise : il atteint dans quelques magazines spécialisés la même moyenne que certains chefs‑d’œuvre du studio. Il y a des jours où on se sent seul quand on est cinéphile, mais rarement à cause de Pixar : leur degré d’exigence est tel que l’unanimité est souvent de mise.
Je ne remets pas en cause la sincérité de Vincent Avenel, mais force est de constater que je pense à peu près tout l’inverse de ce faux film d’aventure. Alors certes, Pixar se tire régulièrement une balle dans le pied à hisser chacune de ses productions à un niveau qui fait pleurer la concurrence, mais quand bien même un film n’égalerait pas le précédent (rappelons que le premier Cars, jadis film le moins réussi du studio, débarquait juste après Les Indestructibles, véritable chef‑d’œuvre de maturité et d’audace rythmique), Pixar parvient toujours à retomber sur ses pieds. L’annonce de Rebelle avait de quoi faire frémir d’impatience n’importe quel fan blasé : voilà donc le premier film Pixar à se tourner vers le passé, qui plus est fondu dans un univers d’aventures fantastiques. Une proposition difficile à refuser. Une proposition que Rebelle va, 1h30 durant, s’échiner à faire oublier.
La projection de Rebelle (en 2D, heureusement, mais en VF, ce qui m’a forcé à subir le doublage effectivement peu convaincant de Bérénice Béjo…), malgré toute l’affection que je porte au studio, fut aussi désolante que celle de Cars 2 : l’impression de feuilleter un livre dont le seul intérêt réside dans la couverture. Soigné, Rebelle l’est assurément, mais complimenter ses prouesses visuelles reviendrait à les présenter comme une qualité éventuelle, or le plus grand défaut du film est justement de ne tabler que sur le superficiel, l’attendu ou pire, le cliché. Dans son argument matriarcal déjà, comment ne pas halluciner face au simplisme effarant dont est victime la caractérisation des personnages ?
Réduits, comme les enjeux du film, à une visée strictement mécanique, ils déambulent, grimacent, courent, vivent et gesticulent en vain. Mérida sera la première victime de ce traitement : vendue comme une héroïne éprise de liberté (thème utilisé de manière bien plus pertinent à mes yeux dans le très sympathique Raiponce, justement !), elle se retrouve finalement cloisonnée par son indépendance d’esprit, tout comme le script cantonne son intrigue a priori épique à une petite poignée de lieux. De la timidité, chez Pixar ? On peine à le croire, mais force est de constater que les enjeux du script se réduisent finalement à bien peu de chose… Pour « l’ampleur », chose qui me semble tout sauf « inaccoutumée » chez Pixar, on repassera.
L’humanité du film vantée par votre article tient là encore à un élément purement superficiel, et non pas à un effort de caractérisation : les personnages débordent à première vue d’humanité car ils sont…humains. Mais ils comptent pourtant parmi les personnages les plus tristement unilatéraux de Pixar, là où la galerie de portraits, le sous-texte social et les rapports complexes des héros face à l’image qu’ils renvoient dans Les Indestructibles laissaient entrevoir une humanité infiniment plus palpable. Triste, de la part d’un studio qui, depuis 1995, ne cesse de nous rappeler avec talent qu’un bon film n’existe pas sans une bonne histoire. Les dilemmes convenus de Rebelle, ses personnages secondaires sans saveur et ses chansons désuètes font un peu peine à voir deux ans après l’atomique Toy Story 3. Quant à votre comparaison avec Là-haut et Wall‑E, je la trouve extrêmement généreuse : chacune de ces deux œuvres ont su explorer jusqu’à plus soif les genres dans lesquels ils s’inscrivent, leur offrant deux modèles absolus de cohérence et d’intensité émotionnelle. Mais le papy aventurier et le petit robot esseulé sont bien loin. Dans ces deux immenses réussites, Pixar osait nous faire passer d’une émotion à son contraire, parfois au sein du même plan. Rebelle s’inscrit plus volontiers dans un confort émotionnel lénifiant assez proche de Cars 2. Cibler les enfants, c’est une chose. Exclure le reste de la salle en est une autre, bien plus gênante quand elle concerne un film Pixar.
Amusant en tous cas de constater que DreamWorks Animation, dont je n’apprécie pas spécialement le travail, ait su avec l’excellent Dragons faire de l’ombre à Rebelle deux ans avant sa sortie. On appelle ça un paradoxe, preuve que les onze premiers films estampillés Pixar risquent bien d’en représenter l’âge d’or. Le trailer hilarant du futur Monsters Academy projeté en début de séance écrasant néanmoins l’intégralité de Rebelle, tout espoir n’est peut-être pas perdu !…
Bien à vous,
Totoro
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Cher (et fidèle !) Totoro,
Vos remarques sont l’écho d’un sentiment qui semble être largement partagé vis à vis de Rebelle : une intrigue téléphonée, affreusement éloignée de l’originalité qui, jusqu’à maintenant et même dans ses plus faibles productions (nommément, Cars 2), était une des marques de fabrique de Pixar. En ce qui me concerne, je trouve extrêmement intéressant que Pixar choisisse d’investir le poussiéreux placard à contes de fées de Disney : en effet, j’ai le sentiment que, une fois passé l’argument principal, toujours ingénieux et charmant, certains films de la firme se laissaient aller à des intrigues elles aussi prévisibles et peu enthousiasmantes. C’est un point, d’ailleurs, sur lequel nous divergeons : si je tiens pour merveilleux, au sens plein et intense du terme, les prologues de Wall‑E (la partie « terrienne » du film) et de Là-haut, je trouve que la poursuite du récit laisse affreusement à désirer, se résumant souvent à une course poursuite burlesque mais sans beaucoup de cœur (une dynamique narrative qui est également celle des deux premiers Toy Story, des Monstres et Cie, etc.). Il semble, à mes yeux, que seul Brad Bird, dans ses très bons Les Indestructibles (je crois que nous sommes d’accord là-dessus) et Ratatouille, et le bouleversant Toy Story III parviennent à éviter cet écueil.
Le fait que Rebelle ait choisi de s’inscrire dans un cadre contraignant me semble donc, à ce titre, intéressant : la dynamique sera-t-elle inversée ? Si l’idée de base est plus traditionnelle, le traitement en sera-t-il moins porté vers la poursuite échevelée à l’efficacité purement burlesque ? À mes yeux, c’est bien le cas, et le sel de Rebelle se trouve avant tout dans ces moments où le film tente de s’émanciper de son carcan : ces moments où l’humanité de ses personnages n’est pas seulement touchante, convaincante (c’est le cas de la très grande majorité des personnages Pixar), mais bien agaçante, nombriliste, arrogante – des traits bien humains mais rarement aussi librement montrés. Le petit vieux de Là-haut, ainsi, pour ronchon et acariâtre, n’en était pas moins un cœur d’or – Merida, en revanche, est égocentrique, immature ; sa mère, une maniaque du contrôle incapable de communiquer et d’écouter ; son père, un lâche débonnaire… Des traits qui me laissent à penser que si Pixar a, avec Rebelle, ouvert un poussiéreux grimoire de conte de fées fleurant bon la naphtaline narrative, son propos reste pourtant bien actuel, pertinent et inédit, bien plus que beaucoup d’autres productions du studio, Les Indestructibles et Toy Story III exceptés.
Mais, hélas, je persiste à voir dans le film des faiblesses que vous ne relevez même pas : des scènes inutiles, cassant le rythme, une tendance manifeste à n’avoir pas su complètement contrôler son récit, à n’avoir pas su l’amener complètement sur la voie que je perçois comme la sienne (tout ce qui implique la sorcière, notamment). Et de là, je vous rejoins pleinement : pour rare qu’elle ait été dans une production DreamWorks pourtant généralement sans beaucoup de saveur, la réussite exemplaire du fabuleux Dragons laisse Rebelle loin derrière : comparer les deux couronne le second pour des questions d’esthétique pure, mais pour le reste, le film de Dean DeBlois et Chris Sanders prévaut (et n’oublions pas la qualité du méconnu Chasseurs de Dragons, à l’originalité renversante).
Vincent Avenel
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Lire l’article de Vincent Avenel : Rebelle