C’est une drôle de nouvelle qui est tombée le lundi 20 juin sur la tête de la communauté cinéphile : la veille, le réalisateur hollywoodien britannique Tony Scott s’est jeté du Vincent Thomas Bridge à Los Angeles, avant que sa dépouille ne soit repêchée une heure plus tard par la police locale. Il avait 68 ans. Les raisons du suicide demeurent pour l’instant inconnues, la rumeur d’une tumeur au cerveau ayant été démentie par sa famille.
Petit frère de Ridley Scott, qui comme lui s’est fait la main dans la publicité avant de sévir dans le cinéma hollywoodien, Tony Scott s’est avant tout imposé auprès du grand public avec des films comme Top Gun ou Le Flic de Beverly Hills 2. Référent incontournable du cinéma d’action des années 1990, auquel il imposa une plastique pub très marquée, il influença des cinéastes aussi variés que Michael Bay ou Quentin Tarantino, dont il est l’un des « maîtres » et dont il porta d’ailleurs à l’écran le tout premier scénario : True Romance. À la fin des années 1990 (entre Ennemi d’État et Man on Fire), il amorça une virage formel très marqué qui fit de lui un cinéaste prisé par une partie de la critique française — la partie frondeuse et fétichiste du plan — qui aimait voir en lui un formaliste expérimental, maniaque de l’image et du montage traversé par ses obsessions pour la vitesse, la technologie, la communication, etc., tandis que l’autre partie — plus académique, plus pantouflarde — ne voulut pas dépasser la beauferie décérébrée apparente de son cinéma.
À la fois objet de snobisme et de mépris, Tony Scott, bien malgré lui, s’est positionné au centre du problème de la critique actuelle, qui d’un côté s’est encroûtée dans ses préjugés poussiéreux (la méfiance bébête et intello vis-à-vis du divertissement populaire, la peur hautaine de s’y salir) et qui de l’autre s’enfonce dans la caricature de la politique des auteurs (l’extase béate et non moins intello dès qu’est pressentie la moindre articulation de discours — quel qu’il soit — dans le défoulement du découpage visuel). Entre fascination hypnotique pour son style et rejet pour ses ambitions commerciales, la presse ciné rend cette semaine un hommage pour le moins clivé au réalisateur des Prédateurs et du Dernier Samaritain. Télérama — qui n’est plus à un article honteux près — sur son site est même allé assez loin en spéculant que la supériorité supposée de son frère aîné (moins brouillon, moins tâcheron, mais dont on attend depuis longtemps, rappelons-le, qu’il refasse un bon film) serait pour quelque chose dans son suicide, manière de dire que la mort du réalisateur les conforte dans leur bon droit et leur hiérarchie arbitraire. Position morbide et pour le moins indécente.
Mais qu’en est-il alors de Scott (Tony) et de son œuvre ? S’il est évident qu’il ne marquera pas l’histoire du cinéma (contrairement à Scott (Ridley), qui sut le faire à une ou deux reprises), il est indéniable en revanche qu’il a marqué son époque. En trente ans de carrière dans l’industrie du rêve, il symbolise plutôt bien le souci qui a frappé une partie du cinéma hollywoodien ces dernières décennies. N’ayant plus rien à raconter, Hollywood a été obligé d’inventer une nouvelle façon de filmer ce manque d’histoire, ce déficit de propos, en puisant dans ces médiums neufs qu’étaient alors la publicité et le clip. Le filmage, soudain, a permis de meubler (comme on meuble un temps d’antenne). Chez Scott, cette frénésie à remplir le vide coûte que coûte, cette peur totalement exagérée du temps mort, de la scène faible, a même atteint un point culminant d’hystérie — à l’origine du malentendu chez les cinéphiles — qui est le propre de l’esthétique publicitaire : ses plans et effets de montage ont fini par faire leur propre promotion, faisant du style leur marque et substituant le désir (des personnages, du spectateur) par le cinéma, devenu produit consommable sous label. Cinéaste mineur mais qui, de ce point de vue, a devancé son temps, ses films ont contribué à poser la question du transfert des images — ce qu’elles gagnent, ce qu’elles perdent — entre les différents médiums. C’est un mérite comme un autre.