À quelques jours de l’ouverture du 33e festival du court-métrage de Clermont-Ferrand, Potemkine et Agnès b. DVD proposent une sélection hétéroclite de courts-métrages primés dans la section Labo (laboratoire de recherche cinématographique) qui fête ses dix ans. Du documentaire au film d’animation, ces réalisateurs explorent timidement les limites du cinéma.
Filmer ses contemporains et questionner la société est une des préoccupations de ces auteurs qui s’emparent des codes du documentaire pour tenter de les subvertir.
Michael Koch dévoile l’envers du décor d’un match de foot. Le spectacle n’est plus sur le terrain mais dans les gradins. Le « chauffeur de salle » a volé la vedette aux footballeurs. Armé de son mégaphone, il orchestre le chœur des supporters. On devine les actions du match joué hors-champ sur les visages qui tour à tour s’illuminent ou se décomposent. Captivés par l’action, les protagonistes oublient la caméra répondant d’une seule voix à leur leader. Le réalisateur inverse le point de vue habituel opérant ainsi une mise en abyme. En observant le comportement de ces hommes et femmes, il analyse les mécanismes du fanatisme et révèle la ferveur quasi religieuse des supporters mise en exergue par son titre évocateur Wir sind dir treu (« Nous te sommes fidèles »). Disséquant leurs faits et gestes, le cinéaste flirte avec le film anthropologique.
Avec Sea Change (changement radical), les deux artistes britanniques Rosie Pedlow et Joe King scrutent également le réel au moyen d’un travelling de trois cents mètres pris à plusieurs moments de la journée pendant cinq jours en fin de période estivale. Le film est donc déterminé par le dispositif choisi et entre en résonance avec le travelling ralenti de Lunch Break de Sharon Lockart sur des ouvriers pendant leur pause déjeuner. Devant l’objectif défilent avec une fluidité envoûtante les mobiles home et caravanes qui jonchent le terrain les accueillant. Le quotidien le plus anodin est transcendé par le regard de l’artiste qui le transforme grâce aux techniques cinématographiques en adoptant un point de vue singulier. La musique du compositeur Simon Allen nous accompagne dans cette observation contemplative.
Toujours du côté du documentaire, le collectif français Broadcast Club, avec Lila, opère un métissage timoré entre le clip et la publicité pour recréer une journée type dans un camping du Pyla-sur-Mer. Loin des stéréotypes, il met en scène des portraits sensibles d’estivants dans la tradition de la photographie documentaire humaniste. Les familles posent devant l’objectif. La musique du groupe Limousine détache ces images du réel rappelé par l’intrusion ponctuelle des informations diffusées par la radio ou de celle de bruits d’ambiance. Le montage cadencé utilise les codes de la publicité avec l’emploi répété de glow (lueurs), de ralentis et d’accéléré.
Pour explorer le réel, Sam Walker choisit, lui, la fiction. Ses films fortement influencés par le théâtre transpirent la cruauté. Son sens aigu de la dramaturgie structure avec talent le récit. Et ainsi dans Duck Children (2001) un touchant spectacle de fin d’année se termine en carnage. L’imaginaire enfantin et la barbarie adulte se mêlent créant une tension insoutenable.
Le pouvoir des images et leur impact sur l’imagination de jeunes esprits sont également interrogés par Keith Bearden, réalisateur américain de publicités, à travers son récit métaphysique The Raftman’s Razor. Il introduit de façon conventionnelle dans cette fiction tournée en prise de vue réelle, des séquences d’animation inspirées de l’univers de la BD. Une voix-off qui raconte ce qui semble être sa propre histoire confère à son film une dimension autobiographique.
L’artiste américain David Russo auteur du clip de Thom Yorke de Radiohead Harrowdown Hill, utilise également ce procédé pour mettre en scène un entretien fictif entre des programmateurs d’un festival et lui-même. Dans I Am (Not) Van Gogh, il revient avec ironie sur la question du statut de l’artiste et la genèse d’un projet en jouant également sur l’hybridation de l’animation et de la prise de vue réelle.
Le seul film entièrement d’animation de cette sélection The Tale of How de The Blackheart Gang raconte sous le mode d’un opéra le renversement d’un tyran. Les décors réalisés avec minutie charment par leur finesse. On entre dans un univers personnel féerique, mais on en ressort aussitôt.
Il est question par ailleurs à travers cette sélection, de porter un regard sur les nouvelles technologies et leurs usages. Le collectif Bif qui se définit comme « poète du numérique », pointe les dérives de la science à travers son film Raymond, cobaye d’une expérience absurde. Cette comédie numérique interpelle par sa facture, mais nous laisse sur notre faim quant au manque d’originalité du scénario.
La narration est totalement abolie dans les deux films suivants, aux profits d’une expérience sensorielle un peu fade.
Délices du vidéaste parisien Gérard Caraishi se joue de nos perceptions avec un montage épileptique superposant à cadences régulières différentes textures. On se retrouve alors devant ce qui ressemble à un exercice de style qui sonne un peu creux.
Pour Énergie, Thorsten Fleish met au point également un dispositif inédit plus empirique en associant photographie et vidéo. Il crée des explosions électriques qu’il fixe sur du papier photo, qui sont ensuite scannées puis animées. De ces manipulations résulte la représentation graphique d’un flux d’énergie en perpétuelle mutation. Une fois encore, la forme semble primer sur le fond.
Censées être la quintessence du cinéma expérimental, certaines de ces réalisations déçoivent par leur manque d’audace. On n’y découvre malheureusement guère de nouvelles formes d’écriture. Ces auteurs s’emparent d’un langage conventionnel sans réellement parvenir à le dépasser, même si certains d’entre eux sont parvenus à construire des œuvres assez personnelles. On regrette également l’absence de représentants asiatiques ou sud américains parmi une sélection qui se partage entre États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne et Afrique du Sud. Sujet à controverse, l’adjectif « expérimental » est devenu sans doute trop galvaudé, pour que l’on puisse à tout va y ranger des œuvres si académiques. Suffit-il de faire se rencontrer les arts plastiques et le cinéma pour gagner ce qualificatif ? Cette édition a au moins le mérite de nous questionner sur cette frange de la production et révèle des œuvres intéressantes d’une technicité séduisante.