Quatre ans après Maborosi, Hirokazu Kore-eda revient au long métrage de fiction avec After Life. Une fois encore, il est question pour ce réalisateur atypique des rapports entre l’image et la vie, le réel et l’imaginaire. Une fois encore, le documentaire imprègne un récit pourtant des plus fantasmagorique. Une fois encore, la capacité du réalisateur à émerveiller son auditoire reste intacte.
Presque comme un fait exprès, après Maborosi, où ses protagonistes étaient aux prises avec leur désespoir et leurs incertitudes face à la disparition des êtres chers, Hirokazu Kore-eda réalise After Life, qui passe de l’autre côté du miroir. Nous sommes ici dans les limbes, où les morts en attente de passer au-delà se voient offrir la possibilité d’emporter avec eux un dernier, leur plus cher souvenir. Reste à se remémorer ledit souvenir…
Étrange bureaucratie déliquescente que les limbes créées par Hirokazu Kore-eda – un bâtiment décrépit abrite une demi-douzaine de fonctionnaires et leurs « pensionnaires » une semaine durant, en attente de partance pour l’au-delà. Très procéduriers, ils réalisent des entretiens, qui nous sont présentés à la manière d’interrogatoires de police. Mais la procédure ne tient cette façade qu’un temps – jusqu’à ce que le facteur humain s’impose…
After Life semble un pendant japonais aux méconnues Ailes de la renommées, d’Otakar Votocek, dans lequel le réalisateur créait une île où résidait les morts célèbres, en attendant que l’oubli ne les précipite dans les limbes. Pour la peinture d’un tel lieu, il semble que la solennité soit de mise, une solennité mâtinée d’une temporalité floue, d’un esthétisme ouaté.
Le film de Hirokazu Kore-eda n’échappe pas à la règle. Le long des couloirs labyrinthiques et miteux des limbes, sa caméra respecte les lignes de fuite, semble prisonnière de son propre cadre, comme si la mort devenait l’ultime procédure, la dernière normalisation qui remettrait chacun au niveau de son prochain. Mais bientôt, parmi les plus récents arrivés des « fonctionnaires », les fissures apparaissent, notamment dans le personnage d’une jeune fille pour laquelle la mort n’a, semble-t-il, pas mis fin aux envies de romance.
Dès lors, la caméra de Hirokazu Kore-eda va suivre son personnage, le long d’une séquence de vagabondage urbain qui lui donne l’occasion de briser son cadre, de le développer hors des limites routinières qu’il s’était imposées, dans les limbes comme dans le film, les choses changent, s’animent, et les cœurs froids des fonctionnaires se réchauffent sans qu’ils s’en rendent compte.
Le rapport de ses protagonistes au souvenir, au bonheur, tient avant tout de sa démarche de documentariste – on peut se demander, d’ailleurs, à quel point les acteurs interprétant les décédés tenus de se rappeler leurs plus beaux souvenirs n’ont pas improvisé une partie de leur texte. Lorsqu’il s’agit, à proprement parler, pour l’équipe des fonctionnaires de limbes de mettre en scène et de tourner ces souvenirs pour que les morts les emportent avec eux, on tombe dans une fantaisie qui n’est pas sans rappeler l’univers du Michel Gondry de La Science des rêves. La véritable parenté entre les deux univers tient probablement à ce que Kore-eda, comme Gondry, aime à montrer les ficelles de son univers onirique à l’écran, à mettre en abîme l’illusion du cinéma. Parce que montrer ces ficelles fait partie de la poésie du discours.
Au bout de sa jolie métaphore – le cinéma comme pourvoyeur de souvenirs, et peu importe qu’ils soient réels ou non –, Hirokazu Kore-eda touche au sublime, à la mélancolie pure, en revenant une fois encore sur le besoin du spectateur de l’illusion cinématographique, voire de l’humain de l’illusion tout court. Voir ou revoir ses premiers films, plus théoriques mais aussi plus enthousiastes, moins policés que ceux qui suivront, permet de découvrir un Kore-eda mis en sourdine par son style actuel. Le cinéaste a évolué, certes, et pas forcément pour le pire. Mais cette évolution rend d’autant plus précieuse la possibilité de découvrir une poésie peut-être plus spontanée que celle du réalisateur d’aujourd’hui.