Après avoir donné le véritable coup d’envoi de l’âge d’or du cinéma fantastique avec Les Vampires du docteur Dracula, le passionné de cinéma-scénariste-acteur-futur réalisateur Paul Naschy s’est constitué une filmographie imposante, toujours inspirée à la fois par le succès commercial du genre, et par sa fervente admiration pour le cinéma de l’Universal. Avec Le Bossu de la morgue, Naschy prend les traits d’une figure qui, une fois n’est pas coutume, n’est pas un monstre de premier plan : un bossu de laboratoire. Mais le film n’est pas en reste, question bestiaire : un savant fou (inhabituellement flanqué de deux savants sains d’esprit), des monstres plus ou moins lovecraftiens, un laboratoire caché, des instruments de torture, un bain d’acide… N’en jetez plus ! Loin de donner dans le simple effet de catalogue, Le Bossu de la morgue incorpore avec pertinence tous ces éléments, pour un film à la fois terriblement violent et profondément pathétique, une œuvre communicative de cinéphile passionné.
On ne sait pas vraiment sur quel pied danser, alors que débute Le Bossu de la morgue : la séquence de générique montre longuement un panorama sylvestre, illustré par une musique atrocement pompière, présageant plus volontiers d’une comédie façon Les bidasses en folie ; la première apparition du bossu, sale et laid, le montre au chevet d’une beauté brune, qui ne le repousse aucunement… Javier Aguirre, illustrant pour la deuxième fois de l’année un scénario de Paul Naschy avec l’aide du chef opérateur Raúl Pérez Cubero après Le Grand Amour du comte Dracula, s’amuse à brouiller les pistes, à jouer des multiples thèmes du cinéma d’épouvante pour perdre son spectateur, le tout avec une photo aux couleurs somptueuses. Mais, bientôt, la composition musicale de Carmelo Bernaola donne le ton : la fanfare initiale est remplacée par un thème lyrique, romantique, qui convient mieux à définir le thème central – l’amour fou porté par le bossu à une jeune fille morte. De là, tout découle, et les nombreuses étrangetés et atrocités du film sont légitimées par cet enfermement romantique, au nom duquel tout est permis.
Naschymodo
Autant dire que placer Paul Naschy, qui plus est grimé en bossu, au centre d’une histoire passionnelle est plus qu’inattendu. C’est pourtant logique, lorsqu’on se place du point de vue de passionné de l’Universal. C’est surtout au sublime finale de La Fiancée de Frankenstein que fait référence le film de Javier Aguirre, ou la rencontre des thèmes de la romance et du monstre, à qui cela serait par essence interdit – c’est aussi à Notre-Dame de Paris. Loin de sa composition outrée dans Les Vampires du docteur Dracula (et dans nombre de ses films, d’ailleurs), Paul Naschy parvient à rendre crédible l’alliance de sa force physique et d’une physionomie heurtée, pathétique. Profondément étrange, le personnage navigue au milieu de scènes parfois terriblement violentes, baroques et barbares – le pinacle de celles-ci étant la séquence où son Esmeralda, l’Ilse interprétée par María Elena Arpón, est retrouvée partiellement dévorée par des rats. Naschy tente de la secourir, précipitant les animaux dans le feu : les souffrances de ceux-ci, comme leur tentative de s’en prendre à l’acteur, sont bien réelles, et aussi troublantes que la renarde au crâne fracassé de La Mariée sanglante.
Comme le souligne Alain Petit dans le passionnant entretien d’une heure et demie qu’il mène en bonus du DVD, « ce n’est certainement pas un film approuvé par la SPA ». Pourtant, dans toute sa démesure, Le Bossu de la morgue fait aussi montre d’une candeur touchante, d’une capacité à retrouver le pathétique gracieux des films où Boris Karloff interprétait la créature de Frankenstein. En supplément du DVD, qui constitue donc le morceau de choix du triptyque espagnol édité par Artus, vient un livret retraçant l’histoire du fantastique ibérique, écrit par, encore, Alain Petit. Les deux documents se répondent : à l’écrit, l’iconographie est de bonne qualité, et le texte factuel est présenté avec d’intéressantes filmographies, tandis que l’entretien avec Alain Petit fourmille d’anecdotes inédites.