Clint Eastwood est un cinéaste difficile à appréhender, quel que soit l’angle sous lequel on l’aborde, car son cinéma répond parfaitement au style classique (ou néoclassique, comme l’appellent les contributeurs de L’Art du cinéma, « résurrection d’un classicisme sous l’impératif de la modernité »). La revue, par la multiplicité de ses points de vue (directement mis en confrontation en fin d’ouvrage avec la table ronde sur Invictus), offre un panorama à facettes du style d’Eastwood. Entre analyse esthétique et analyse morale, chaque article essaie de démêler les fils derrière la simplicité apparente des films et les préjugés réactionnaires qu’on leur attribue, de faire ressortir un humanisme (classique, lui aussi) qui n’est jamais là où on l’attend : moins vers la résolution puritaine des conflits, que vers une forme d’émancipation forte mais tranquille, peu souple mais franche.
Le point de fuite qui ressort de toutes ces analyses d’Eastwood, et ce qui fait sans doute sa singularité, est la réactivation du conflit classique versus moderne. On pourrait synthétiser ces analyses en disant que ce conflit est le premier, d’où découle une foule d’autres propositions conflictuelles développées au long des films : celle du thriller versus mélodrame, par exemple dans Play Misty for Me (premier long métrage d’Eastwood, analysé par Lucas Hariot), ou dans Sur la route de Madison (analysé par notre confrère Raphaël Lefèvre), où le conflit propre à l’héroïne joue entre intimité et vie sociale, passion et raison. Thèmes classiques par excellence, transposés dans une atmosphère ancienne mais contemporaine. D’où une forme d’énigme, qui prend place avec éclat dans Minuit dans le jardin du bien et du mal (analysé par Denis Levy), où la question de la passation (d’une culture, d’un esprit) est centrale.
Les deux autres singularités d’Eastwood sont la force morale (éthique), et la force émotionnelle de son cinéma. Leur lien est mis en valeur dans les articles, qui essayent par là même de décrypter plus précisément la construction parallèle du sens et de l’émotion. Ces valeurs s’impliquent dans une idée, celle d’espoir, d’ouverture des possibles. On le voit nettement dans l’analyse de L’Échange (par Elisabeth Boyer), et la table ronde sur Invictus. Cette dernière s’attache à analyser les rapports hétérogènes mis en place dans le film (une réflexion intéressante sur le ralenti particulier lors des matches, ralenti visuel et sonore qui devient brutal, impur, tout sauf lisse et enjolivant), comment les conflits sont décalés et dégagés, pour laisser place à un trajet d’espoir.
Les contributeurs de L’Art du cinéma ont le mérite de vouloir traiter tous les films, et leurs analyses sont fouillées et pertinentes. On regrette parfois qu’elles ne durent pas plus longtemps (les articles dépassent rarement les six pages) ou qu’elles ne se croisent pas, ne s’imbriquent pas. Mais dans le format qui lui est imparti, la revue peut difficilement faire mieux ! Un livre indispensable, donc, pour toute étude du cinéaste, notamment pour acquérir une connaissance globale de l’œuvre d’Eastwood.