Agrégé d’histoire et codirecteur de l’ouvrage Cinéma et régimes autoritaires au XXe siècle, Thomas Wieder propose une analyse documentée et riche en anecdotes qui démonte les rouages complexes du rouleau compresseur idéologique qui pendant près de quinze ans (de la fin des années 1940 au début des années 1960) va broyer les esprits et les hommes. Hollywood est alors envisagé comme un lieu stratégique de contrôle des esprits. Au total près de 300 acteurs, scénaristes et réalisateurs seront soupçonnés par la Commission des Activités Antiaméricaines (créée en 1938 au sein de la Chambre des Représentants, le House Committee on Un-American Activities, est chargé d’enquêter sur toutes les organisations subversives risquant de mettre en péril la sécurité des États-Unis) d’appartenir au parti communiste. En 1949, Robert E. Stripling, l’un de ses membres, publie The Red Plot Against America en résume ainsi la position vis à vis de l’industrie cinématographique : « 75 millions d’Américains vont au cinéma chaque semaine et la plupart des gens croient ce qu’ils voient […] si le parti communiste arrive à régenter l’industrie cinématographique […] il fera un pas déterminant dans l’application de son plan […] visant à “communiser” le pays. » Chaque profession de l’industrie cinématographique américaine est dotée d’un syndicat dont la mobilisation va souvent bien au-delà de simples préoccupations professionnelles et lui confère une forte capacité de nuisance : la Ligue Antinazie de Hollywood s’est notamment engagée pendant la guerre d’Espagne ou lors de la venue de Leni Riefenstahl sur le sol américain.
Fondé en 1919, le parti communiste américain s’est développé sur la base de l’antifascisme mais ses effectifs restent faibles même si ses sympathisants sont plus nombreux. À l’heure de la signature du Pacte germano-soviétique et des premières victoires allemandes, en septembre 1939, les responsables du parti communiste sont interrogés par le FBI tandis que son secrétaire général est convoqué devant la Commission. Quelques mois plus tard, Martin Dies, représentant démocrate du Texas proche des milieux évangélistes et anticommuniste notoire lance une première offensive contre Hollywood : il reçoit une vingtaine de « témoins » dans sa propriété texane mais les résultats sont peu probants. Malheureusement pour lui, l’entrée en guerre de l’URSS contre l’Allemagne se solde immédiatement par « la mise en sourdine de l’anticommunisme ». La parenthèse est de courte durée. La guerre froide s’avère une aubaine pour les conservateurs de la droite américaine xénophobe et antisémite car elle « légitime et encourage la chasse aux sorcières dans tous les secteurs de la vie publique ». Au nom de la sécurité nationale, l’anticommunisme devient la clé de voûte de la politique américaine, la moindre idée progressiste s’apparente très vite à une tentative pure et simple d’endoctrinement.
En février 1944, le réalisateur anticommuniste Sam Wood fonde la Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals qui sera une arme de guerre précieuse dans l’arsenal des anticommunistes hollywoodiens : Walt Disney, Victor Fleming, King Vidor, Gary Cooper ou John Wayne en font partie. Cette alliance se fixe déjà pour objectif de « combattre par tous les moyens […] tous les efforts venant de groupes ou d’individus visant à miner la loyauté du cinéma à l’égard de cette Amérique libre qui lui a permis d’exister ». En 1945, La Commission des Activités Antiaméricaines a enfin les coudées franches et John E. Rankin représentant du Mississippi n’hésite alors plus à décrire Hollywood comme « le plus grand foyer d’activités subversives des États-Unis », capable « d’empoisonner l’esprit de nos enfants, déformer l’histoire de notre pays et de discréditer la chrétienté » tandis que le prédicateur L.K. Smith publie une série d’articles intitulés « Le Viol de l’Amérique par Hollywood » sur le thème du complot judéo-communiste. Dès novembre 1946, les Républicains contrôlent les deux chambres. En 1947, les menaces sont mises à exécution : John Parnell Thomas, le président de la Commission des Activités Antiaméricaines débarque à Hollywood et procède aux premiers « entretiens ». Les producteurs sont vivement incités à faire le ménage eux-mêmes en se débarrassant des employés « rouges ». Six mois plus tard ont lieu à Washington les premières auditions publiques et médiatisées (90 journalistes, 9 caméras et 27 photographes). La commission se compose de 9 membres (4 Démocrates et 5 Républicains dont un certain Richard Nixon). Des témoins « amicaux » sont d’abord entendus : Ayn Rand romancière née à Saint-Petersbourg et émigrée aux États-Unis dans les années 1920, auteur de Screen Guide for Americans, sorte de memento à l’usage des cinéastes pour les aider à lutter contre l’influence communiste : « ne dénigrez pas le profit », « ne glorifiez pas l’échec », « n’idéalisez pas l’homme du peuple ». Comparaissent aussi Ronald Reagan, le nouveau président du Syndicat des Acteurs (Screen Actors Guild), Gary Cooper, Walt Disney ou Adolphe Menjou qui proclame : « Je suis un chasseur de sorcières si les sorcières sont les communistes ; je combats les rouges. »
Doit ensuite venir le tour des 19 témoins « inamicaux » : 12 scénaristes dont Bertolt Brecht, 5 réalisateurs dont Lewis Milestone, le producteur Adrian Scott et l’acteur Larry Parks sont convoqués. Sous l’impulsion de Herbert J. Biberman, figure de la Ligue Antinazie, une ligne de défense commune est adoptée suivant deux axes : refuser de se comporter en coupables et s’appuyer sur le premier amendement du « Bill of Rights », un des fondements de la démocratie américaine qui garantit la liberté d’expression. Il s’agit de montrer que les ennemis des valeurs américaines ne sont pas ceux que l’on croit. Un comité pour la défense du premier amendement est alors créé par William Wyler, John Huston et le scénariste Philip Dunne : Lauren Bacall, Humphrey Bogart, Henry Fonda, Judy Garland, Katharien Hepburn, Gene Kelly, Burt Lancaster, Gregory Peck, Frank Sinatra mais aussi Thomas Mann et Albert Einstein en font partie. Une mobilisation médiatique active s’organise : achat d’encarts publicitaires dans les quotidiens, conférence de presse, parrainages d’émissions de radio, manifestations… Washington Post, New York Times et Los Angeles Times soutiennent ouvertement ces actions.
Le 17 octobre 1947, un avion spécialement affrété emmène les 19 témoins convoqués devant la Commission des Affaires Antiaméricaines de la chambre des représentants. L’ambiance est très tendue, les témoins ne peuvent pas lire les déclarations qu’ils avaient préparées. John Howard Lawson, fondateur du Syndicat des scénaristes, lance : « Vous êtes en train d’employer la vieille technique qu’on utilisait dans l’Allemagne hitlérienne. » Puis Dalton Trumbo, le scénariste alors le mieux payé de Hollywood, met au défi la Commission de trouver dans les 20 scénarios qu’il apporte la moindre trace d’appel à la subversion : « Nous sommes au soir de l’incendie du Reichstag. C’est le début des camps de concentration en Amérique. » Albert Matz compare les membres de la Commission à Goebbels et Hitler, et lorsque Alvah Bessie est sommé de rendre publique ses opinions politiques, il rétorque : « Le Général Eisenhower en personne a refusé de révéler son appartenance politique et ce qui vaut pour le général Eisenhower vaut aussi pour moi. » Samuel Ornitz conclut : « Je m’adresse à cette commission en tant que Juif, car l’un de ses membres éminents est un membre du Congrès bien connu pour son antisémitisme, et il en est fier. Je veux parler de John E. Rankin. Quand les garanties constitutionnelles sont bafouées, les Juifs sont les premières victimes. Et quand on s’en prend aux Juifs, on s’en prend bientôt aux autres. » Le 30 octobre a lieu l’audition de Bertolt Brecht : « Je ne suis et n’ai jamais été membre du parti communiste », 24 heures plus tard il regagne l’Europe.
Ceux qu’on appelle désormais « The Hollywood Ten » sont tous inculpés pour outrage au Congrès. Les soutiens se raréfient, même Bogart se défile, n’hésitant pas à déclarer qu’il abhorre « le communisme comme n’importe quel Américain respectable », en 1948 il ira jusqu’à publier dans Modern Screen une confession intitulée « I’m no communist ». Les producteurs hollywoodiens se demandent dès lors s’il est bien judicieux pour l’avenir de leurs entreprises de se démarquer d’une décision officielle. Dès novembre 1947, Eric Johnston, le président de l’Association des Producteurs de cinéma, réunit en secret à New York les dirigeants des grands studios qui, craignant le boycott d’un cinéma déjà ébranlé par la concurrence télévisuelle, se rallient à la curée. Quelques mois plus tôt, ce même Johnston avait exigé le licenciement de tout employé communiste tout en affirmant : « Je ne pense pas qu’il soit du ressort du gouvernement de dire à l’industrie cinématographique […] le type de films qu’elle doit faire. » Les sanctions sont immédiates : ceux qui parmi les « Dix de Hollywood » sont sous contrat sont congédiés : Ring Lardner Jr est viré de la Twentieth Century Fox un mois plus tard, la RKO licencie Edward Dmytryk et Adrian Scott, la MGM Lester Cole et suspend Dalton Trumbo car son contrat ne comportait pas de clause de moralité. Les free-lance (Biberman, John Howard Lanson, Albert Matz et Samuel Ornitz) se retrouvent eux aussi sans travail.
Les « Dix de Hollywood » ouvrent alors un bureau à Los Angeles et sillonnent les États-Unis pour récolter des fonds en vue de la future bataille judiciaire. En avril 1948, Lawson et Trumbo sont condamnés à 1000~$ d’amende et un an de prison, Biberman et Dmytryk écopent de 6 mois. Malgré leurs déboires judiciaires, tous veulent continuer à travailler même au noir comme Lester Cole qui, sous le pseudonyme de J. Redmond Prior, signe le scénario de Pilote du Diable de Stuart Heisler dont la vedette est Bogart ou Albert Maltz qui a adapté le roman d’Elliott Arnold Blood Brother sous le titre La Flèche brisée. Dalton Trumbo travaille pour le théâtre puis clandestinement pour le cinéma. En appel, la sentence est confirmée. Ne reste plus alors que la Cour Suprême qui, refusant d’examiner les requêtes, confirme aussi du même coup le verdict. Ayant épuisé tous les recours possibles et profitant de leurs derniers jours de liberté, les Dix de Hollywood décident, en 1950, de tourner un court métrage. Réalisé clandestinement par John Berry, il s’agit d’un hommage rendu à chaque membre du groupe. « En refusant d’examiner notre cas, la Cour Suprême a porté un coup dur aux droits des Américains, à nos droits, à vos droits » lance Lardner. Ils ne sont pas incarcérés tous ensemble, mais deux par deux : Cole et Lardner ont la surprise de retrouver John Parnell Thomas, l’ancien président de la Commission des Activités Antiaméricaines, emprisonné pour détournement d’argent. La privation de liberté entraîne le revirement inattendu de Dmytryk qui fait bientôt la une des quotidiens en soutenant : « Je ne suis pas ni n’étais membre du parti communiste au moment de mon audition […] je reconnais les États-Unis d’Amérique comme le seul pays envers lequel je doive obéissance et loyauté. » Mais cette repentance tardive est loin d’être suffisante et c’est devant la Commission que Dmytryk devra à nouveau faire amende honorable le 25 avril 1951 où il reconnaît son appartenance au parti de 1944 à 1945 et dénonce 6 réalisateurs et 15 scénaristes. Des raisons matérielles (500~000~$ de dettes et l’impossible recours à un prête-nom en tant que réalisateur) ont sans doute contribué à ce volte-face.
Février 1950, McCarthy affirme détenir la liste de 205 communistes travaillant au département d’État. Les listes noires sont nombreuses (administration, Industrie, Culture….), près de 10~000 employés refusent de prêter serment ou de dénoncer et perdent leur travail. Hollywood n’échappe pas à la fièvre : les adhérents du Syndicat des Acteurs doivent signer une déclaration de non-appartenance au parti communiste. Le Syndicat des réalisateurs présidé par Mankiewicz connaît des soubresauts : Cecil B. DeMille anti-communiste viscéral voudrait imposer la même chose à ses collègues et dénonce publiquement lors d’une réunion les réalisateurs comme William Wyler ou Billy Wilder qui s’y opposent. Fritz Lang lui répond « Je veux que vous sachiez que pour la première fois depuis mon arrivée en Amérique j’ai peur parce que j’ai un accent » et William Wyler réplique « Je veux qu’il soit bien clair que le prochain qui me traite de communiste ou qui suggère que je ne suis pas américain, si important soit-il et quel que soit son âge, je m’en vais lui mettre mon pied au … » sous un tonnerre d’applaudissement. Un serment de loyauté sera cependant exigé quelque temps plus tard. Le Syndicat des scénaristes transmet quant à lui à la Commission tous les procès verbaux de ses réunions les années 1930.
En 1951, le pays sombre dans un délire paranoïaque aigu sur fond de menace atomique soviétique, de prise de pouvoir des communistes en Chine et de guerre en Corée : complot communiste généralisé et administration noyautée par Moscou. Le diplomate Alger Hiss est condamné à 5 ans de prison. Le thème de la Cinquième Colonne apparaît dans beaucoup de films : Le Rideau de fer de Wellman en 1948, Guet-Apens de Saville en 1949, Le Port de la drogue de Fuller en 1953 et Le Procès de Robson en 1955. Le 19 septembre 1952, le visa de Charlie Chaplin est suspendu. Dans cette atmosphère de peur généralisée et au moment même où les Dix de Hollywood sont relâchés, les auditions reprennent : 110 personnes sont convoquées grâce aux listes fournies par des chasseurs de sorcières plus ou moins patentés comme Myron C. Fagan, des officines spécialisées comme l’American Business Consultants ou la Légion américaine. La Commission déjà bien renseignée reçoit de nouvelles dénonciations car la moitié des « témoins » coopèrent et les « résistants d’hier sont les pénitents d’aujourd’hui » par la grâce d’une éventuelle mise au ban de la communauté cinématographique. Comme Larry Parks (2 rôles depuis 1948) ou le scénariste Richard Collins au chômage depuis 1947 qui reconnaîtra plus tard : « Je dois l’admettre, je me suis comporté comme un sagouin, une misérable petite crapule. » Robert Rossen craque en 1953 en donnant 57 noms. Allégeance, Apostasie, Délation sont les trois stations du chemin de croix du témoin en quête d’absolution. Beaucoup arguent de leur naïveté par rapport au Parti Communiste comme José Ferrer, l’interprète de Cyrano de Bergerac. C’est le scénariste Martin Berkeley qui se voit décerné la palme des délateurs avec 150 noms. Le délateur peut aussi ruser en donnant le nom de personnes décédés ou des noms déjà connus, mais le passage devant la commission est aussi l’occasion pour certains d’exprimer leurs rancœurs professionnelles et de régler leurs comptes.
En avril 1952, Elia Kazan est entendu à sa demande par la Commission, il insiste sur le caractère anticommuniste de sa filmographie et dit accomplir son devoir de citoyen en donnant 8 noms (Art Smith, Tony Kaber, James Proctor…). Le lendemain, il achète un encart dans le New York Times pour y publier une profession de foi anti-communiste doublé d’un appel à la délation Il devient dès lors, selon Victor Navasky l’auteur des Délateurs, « la quintessence du dénonciateur ». Cette véritable marque d’infamie le poursuivra toujours – lors de la remise de son Oscar d’honneur en 1999 des sifflets sont entendus et certains refusent de participer à la standing ovation – d’autant que la rumeur d’une substantielle rémunération reçue en échange de son témoignage se répand peu à peu. Il n’a jamais exprimé de regrets et c’est sans doute cela qu’on lui reproche le plus : « La vérité c’est qu’au bout d’un an, j’avais cessé de me sentir coupable. » En 1952, Kazan est pourtant déjà un réalisateur estimé et puissant, son éventuel refus de collaborer aurait sans doute marqué les esprits des censeurs mêmes. « Il aurait pu être un champion. Au lieu de quoi, il est devenu le Lucifer de la gauche américaine » dira de lui J. Hoberman dans Village Voice à l’occasion de la sortie de son autobiographie. Est-ce un hasard si deux ans plus tard avec Sur les quais, il dépeint le mouchard Terry Malloy (Marlon Brando) comme un martyr ? Kazan avouera plus tard que, lorsque son héros hurle « je suis content de ce que j’ai fait », « c’est moi qui clame avec le même emportement que je suis content d’avoir témoigné comme je l’ai fait ».
Peu connus du grand public, les scénaristes s’en sortent mieux que les autres. La carrière de certains délateurs comme celle de Martin Berkeley ou Richard Collins un des deux scénaristes de The Invasion of the Body Snatchers de Don Siegel en 1956 et dont le producteur Walter Wanger a soutenu la chasse aux sorcières. Pour les acteurs, leur absence des écrans a souvent pour conséquence immédiate l’oubli pur et simple, ce qui explique en partie leur collaboration active. Sterling Hayden (Quand la ville dort de John Huston en 1950) un délateur qui a exprimé des regrets et deviendra non sans malice le général Ripper du Docteur Folamour de Stanley Kubrick. Quant aux réalisateurs, leur carrière est fragilisée malgré les délations : Dmytryk réalise en 1954 Ouragan sur le Caine, puis la Twentieth Century Fox lui propose La Lance brisée : il renoue ainsi avec le succès, sa sortie du purgatoire n’est définitive qu’en 1959 avec L’Homme aux colts d’or.
Les blacklistés choisissent parfois l’exil et Hollywood, refuge des grands noms du cinéma européen dans l’entre-deux-guerres (Fritz Lang, Otto Preminger, Billy Wilder…), devient à son tour terre de départ. Lieu de tournage habituel, le Mexique est aussi pour quelque temps terre d’accueil pour certains exilés comme Lardner, Maltz ou Trumbo (Lardner rentre dès 1952, Trumbo en 1954, Maltz en 1962). Certains rejoignent la vieille Europe. Paris accueille Ben et Norma Barzman, John Berry, Jules Dassin, Bernard Vorhaus, Sydney Buchman (scénariste et l’un des fondateurs du Syndicat des Scénaristes, auteur de M. Smith au Sénat de Frank Capra en 1939 et du Défunt récalcitrant d’Alexander Hall en 1941). Les intellectuels français, dont beaucoup sont proches du Parti Communiste, reçoivent chaleureusement les victimes de la chasse aux sorcières et en 1955 le Festival de Cannes honore Jules Dassin (prix de la mise en scène pour Du rififi chez les hommes) et décerne la Palme d’or à Marty dont la vedette féminine n’est autre que Betsy Blair femme de Gene Kelly et blacklistée. En tournage en Italie, Joseph Losey apprend sa convocation devant la Commission et choisit de s’installer en Grande-Bretagne comme John Huston, Orson Welles ou Anatole Litvak. Carl Foreman les rejoint bientôt. Le scénariste de Si c’étaient des hommes (1950) et Le train sifflera trois fois (1952) devient alors « script doctor » pour Hollywood. En 1957 il témoigne devant la Commission mais refuse de donner des noms. De retour à Londres, il embrasse la carrière de producteur (Les Canons de Navarone de Jack Lee Thompson en 1960). Président du British Film Institute en 1965, il revient aux États-Unis dix ans plus tard. L’éloignement est parfois synonyme de marginalisation professionnelle comme le montre le parcours de Howard Koch, scénariste de La Lettre de William Wyler (1940) et de Casablanca de Michael Curtiz (1943), blacklisté pour avoir écrit le scénario de Mission à Moscou.
Sur le sol américain, ce sont les acteurs qui paient le plus lourd tribut car leur existence vient de leur visibilité aux yeux du public : Philip Loeb se suicide, John Garfield s’il témoigne, refuse d’être un délateur, dépressif et alcoolique il meurt à 38 ans d’une crise cardiaque, et Lionel Stander devient agent de change à Wall Sreet. Les scénaristes (clandestins et sous-payés) arrivent à survivre : La Tunique (Henry Koster, 1953) écrit par Albert Maltz ou Vacances romaines (William Wyler, 1953) écrit par Dalton Trumbo. Beaucoup écrivent des séries B ou proposent leurs services à la télévision : Walter Bernstein, Abraham Polonsky, Arnold Marolf travaillent pour « You are there », l’émission de Sidney Lumet sur CBS. Certains renoncent carrément à leur métier : Alvah Bessie devient tourneur puis rédacteur du syndicat des dockers de San Francisco et enfin éclairagiste dans un night-club.
En 1951, à leur sortie de prison, Biberman et Scott veulent continuer à faire des films, ils fondent avec Paul Jarrico une société de production et tournent au Mexique un film militant antiraciste et féministe en forme d’hommage à la classe ouvrière : Le Sel de la terre (titre en forme de clin d’œil à la phrase de Jésus aux apôtres : « Vous êtes le sel de la terre [ …] vous êtes la lumière du monde […] de même que votre lumière brille devant les hommes : alors en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à Dieu. »). Dans une ville minière du Nouveau-Mexique, les mineurs d’origine mexicaine se mettent en grève pour bénéficier des mêmes avantages que les blancs. Après un tournage long et difficile et une post-production tout aussi laborieuse, le film sort à New York en 1953 où un seul exploitant accepte, contre une forte rémunération, d’organiser quelques projections. C’est à l’étranger que le film remporte un vif succès : dans les pays du bloc communiste et à Paris où il reçoit le prix du meilleur film étranger de l’Académie du Cinéma et reste 10 mois à l’affiche du cinéma des Ursulines.
1954 voit la disgrâce de McCarthy, mais le maccarthysme lui survit et il faut attendre 1960 pour que le climat s’apaise enfin à Hollywood où seuls les producteurs ont le pouvoir de faire revenir les blacklistés en pleine lumière et peu à peu des noms réapparaissent (au bout du compte 10% à peine réintègrent le cinéma). Mais, si Dalton Trumbo est mentionné au générique de Spartacus et d’Exodus, Michael Wilson n’apparaît pas dans celui de Lawrence d’Arabie (David Lean, 1962). En 1970, Lardner est oscarisé pour le scénario de MASH et Dalton Trumbo est récompensé par le Syndicat des Auteurs d’Amérique. La Commission des Activités Anti-Américaines n’est supprimée qu’en 1975. Si on peut regretter que l’ouvrage de Thomas Wieder ne dise par grand-chose de la réalité de la présence communiste à Hollywood, il s’avère une synthèse remarquable et accessible qui encourage le lecteur à s’intéresser de plus près cette période noire et peut-être oubliée de l’histoire du cinéma américain.