C’est l’histoire d’un mariage arrangé entre un vieux bougre et une adolescente, et leur nuit de noces. Ils ne se sont jamais rencontrés. Elle est encore une enfant, avec même l’espièglerie que ce ménage aura tôt fait d’écraser. Lui est un idiot, tout à la perpétuation de cette bonne vieille habitude, mais pas vraiment méchant. Nous passerons sur l’artillerie lourde déployée par la caméra lors de l’introduction, où le mariage n’est qu’une succession d’éléments stylistiques agressifs, d’effets sonores, de points de vue subjectifs : une entrée en matière totalement superflue, l’intérêt résidant dans le huis clos.
On aurait pu s’attendre à ce que Çelik développe un mari en décalage avec ses traditions, afin de poser la question du mariage arrangé sous l’angle d’un personnage capable de les remettre en question. Ce n’est pas le cas : le réalisateur choisit deux personnages tout à fait plausibles, et doit composer avec leur incommunication. Pris dans ce filet, le scénario peine à sortir du factuel et fait donc du surplace sur une bonne partie du film : il lui parle, elle ne lui répond pas, ou très évasivement. Autant pour ses personnages que pour son spectateur, Lal Gece trouve des occupations : il les fait manger, raconter une histoire, jouer à un jeu. L’horloge tourne, mais les questions du sacrifice, de l’intégrité de l’enfant, de la femme en devenir, du carcan social restent toujours en stagnation.
Dans la mesure où la mariée parvient toujours à échapper à son époux par un petit tour de passe-passe (et où lui ne se résout pas à la forcer), elle finit par gagner un peu de terrain sur lui, et une intrigante inversion des rôles finit (tardivement) par opérer : alors que le jour commence à poindre, et que l’appel à la prière du matin devient imminent, il n’a toujours pas brandi à la fenêtre le linge taché de la consommation de leur union. Si pour elle, le mariage est une affaire de soumission à la société, lui aussi lui est tout à fait soumis, même si l’intégrité de son corps n’est pas en question. Son existence d’homme lui est bel et bien dictée par l’organisation patriarcale de la société turque. Il revient, catastrophé, sur une vie d’obéissance qui l’a conduit en prison : plié, courbé, le mariage n’est pour lui qu’un jalon de plus. Il ne se sent pas beaucoup plus à l’aise dans cette situation que sa jeune épouse. L’affranchissement n’est une option pour personne.
Cette inversion du rapport de force entre les deux personnages est intéressante, et met effectivement à jour des éléments moins courus d’avance que ceux qui concernent la jeune fille. Ceci dit, on ne peut pas s’empêcher de regarder d’un œil méfiant cette ristourne finale, où une soumission en nourrit une autre, et où surtout, un chat reste un chat : même accepté par compassion pour le mari plus que par obligation sociale, l’acte sexuel auquel s’astreint cette fille de treize ans n’est rien d’autre qu’un viol. On reste assez gêné par l’incertitude avec laquelle le cinéaste se positionne sur ce finale.