Parcours à travers le palmarès et quelques autres films de la compétition fiction du festival « Côté court », en sa vingtième année.
Après vingt ans de festival, il est heureux de constater que le public ne diminue pas. La durée des films non plus puisqu’ils sont de plus en plus longs, réduisant en conséquence le nombre d’œuvres en compétition mais décuplant bien souvent leur ampleur. On constate ainsi cette année une quasi disparition du film à chute, ces courts dont l’existence n’est justifiée que par une fin qui éclaire ou balaye tout le film. La chronique, plus lente, plus chromatique, s’impose comme le genre en puissance, où le style visuel et la performance des acteurs sont mis en avant. Comme une bonne part de la littérature française actuelle, le cinéma se méfie du romanesque, préfère un minimalisme qui révèle enjeux sociaux et intimes. Mais le court métrage est avant tout le terrain de jeu de jeunes réalisateurs, et d’affirmations de points de vue parfois violemment revendiqués (un phénomène déjà constaté lors du très récent festival Le court en dit long). On retrouve ici la patte des grandes écoles de cinéma, et finalement peu de films autoproduits. La Femis, génératrice de films très marqués, voire empesés par leur scénario, malgré une toujours impeccable maîtrise formelle, quand Le Fresnoy, au contraire, parie avant tout sur la mise en scène et un travail visuel troublant la lecture des images et des effets.
Nulle volonté ici de compter les points, et l’on remarque de toute façon que beaucoup d’œuvres, malgré une sincérité palpable, restent trop sages pour toucher vraiment. Nous retiendrons ainsi à Critikat des films qui se sont formellement distingués, sans pour autant que la technique remplace le discours. Sophie Letourneur a amplement répondu aux attentes en décrochant le Grand Prix, le Prix de la jeunesse et le Prix de la Presse avec son Marin masqué. Elle y poursuit le saisissement d’une jeunesse avant tout parisienne, avec cette force de captation étonnante, pour certains même irritante d’un quotidien sans fard et sans retenue. Dans Le Marin masqué les deux personnages (joués par Laetitia Goffi et Sophie Letourneur), en week-end à Quimper, ressemblent aux filles de La Vie au ranch dix ans après.
Les films de Letourneur n’ont l’air de rien. Histoires minimales, désordres sentimentaux légers, dialogues de copines revenues de tout et qu’on croirait sans conséquences. Le temps de ce week-end resurgira un amour raté, ridicule et immanquablement bouleversant, le genre dont on espère qu’il n’aura pas d’incidence sur notre vie d’adulte. La réalisatrice aurait pu choisir de coller au plus près de ce voyage pour en montrer la force, ce que fait d’ailleurs, sur le mode du badinage rohmérien, Guillaume Brac avec Un monde sans femmes (Prix du Public, Prix Émergence, Prix d’interprétation pour Laure Calamy et le très doué Vincent Macaigne), autre séjour en bord de mer où deux femmes et un homme que tout oppose se cherchent et se sondent au contact des autres. Sérieusement ballotté par ses creux, le film de Guillaume Brac tient parfois de la frêle embarcation, mais il parvient à ménager des moments troublants et émouvants. Letourneur met au contraire toute la distance possible entre le spectateur et son histoire. En noir et blanc granuleux comme un film de vacances, avec de nombreuses fermetures à l’iris comme on passerait le doigt devant le projecteur pour montrer à ses amis un détail mémorable, le récit est à la fois vécu et commenté par les deux actrices/personnages. La Bretagne est un défilé de cartes postales, de nos plus glauques souvenirs d’adolescence (la boite de bord de mer, les crêperies…). Et pourtant l’adhésion est totale. On rit beaucoup, on s’imprègne peu à peu de la mélancolie de ces deux trentenaires désabusées qui regardent et revivent leur passé comme sous Lexomil, en riant doucement, nerveusement. Un exercice ? Sans doute, et qui, avec un brio révoltant, ne prouve rien moins que la puissance de la cinéaste à faire de la mise en scène le délicieux couteau dans ses plaies, et les nôtres.
Il est bien certain que Bobok de Simon Leibovitz (Prix spécial du jury) ne viendra pas contredire les catégories Fémis-Fresnoy définies ci-dessus. On suit les aventures d’un cadavre qui déambule au fil d’une rivière, à la langue bien pendue – quoique ne parlant pas – et ayant laissé sa mâchoire inférieure en amont. Ceci pendant que des silhouettes échouées récitent des borborygmes en croquant des oignons. Baroque et barré visuellement, à la fois sentencieux et proche de la farce, ce collage intègre des images mentales et des réminiscences qui nous mettent sur la piste de l’histoire – on note par exemple de furtives images de la pire propagande antisémite. Sorte de catharsis vouée à expurger les immondices du passé comme on vide une plaie infectée de pue, l’exercice de style fonctionne trop en circuit fermé. L’imaginaire du regard peine à investir celui pourtant foisonnant de Bobok, et demeure le spectateur dubitatif d’un film qui semble s’adresser avant tout à lui-même.
Mention spéciale du Jury, Et ils gravirent la montagne de Jean-Sébastien Chauvin part à l’assaut des genres. Non pas une parodie mais un exercice d’admiration et une fiévreuse envie de croire au cinéma. Dans les Alpes du sud, deux jeunes fuient une vallée où fume une usine. Ils y ont blessé leur supérieur, ils deviennent des fugitifs. On pourrait attendre un récit de fugue initiatique au creux des bois, mais peu à peu, la netteté fascinante de l’image, les prairies vives aux pieds des épicéas, le caractère lunaire des causses traversés, le contraste visuel des deux jeunes noirs sur les paysages préalpins, pousse le film vers un surréalisme intrigant. Il y a d’abord une impression d’étrangeté, qu’accompagnent des musiques associées aux cinématographies classiques des grands espaces américains, puis la science-fiction s’affirme, avec voix d’outre-réel et diamant lumineux. Dans cette forêt, alors que la femme et l’homme urbains ressemblent, en ce milieu étranger, à de jeunes Adam et Eve, le film revêt son plus bel habit, un univers visuel à la lisière du fantastique. On croirait une adaptation réussie des dessins les moins narratifs de Moebius, des êtres, une pierre magique ; un monde libéré de toute contraintes connues. Et ils gravirent la montagne se referme peu à peu sur son étrangeté, une fois son indétermination réglée, mais il demeure un objet intrigant et rayonnant.
L’autre grand étonnement de cette édition est une adaptation d’un roman d’Arthur Schnitzler par Isabelle Prim. Mademoiselle Else suit les tourments d’une jeune fille qui doit se montrer nue à un vieil homme si elle veut qu’il concède un prêt à son père endetté. L’histoire est racontée par bribes plus ou moins obscures, avec du texte qui défile en sous-titres et à l’image comme au son un univers de bric et de broc, entre La Science des rêves, Luc Moullet et Shana Moulton, teinté d’idées noires et résolument kitsch. Indescriptible bazar de symboles et de signes où évoluent Isabelle Prim et Jean-Pierre Beauviala pour tous personnages. Parfois indigeste ou irritant, Mademoiselle Else constitue pourtant une manière absolument originale et réussie d’adaptation littéraire. Les deux lectures parallèles du texte et du film muet (les lèvres bougent parfois mais sont en fait à détacher des sous-titres) créent un troisième niveau dont la compréhension s’opère par paquets, jusqu’à faire entièrement passer cette histoire dans des installations plastique et vidéo. Un peu comme si le film était une exposition, et le texte des cartels pour relier les salles. Le roman devient, dans cette zone où l’Homme n’est plus qu’un objet remuant parmi d’autres, un monde en soi, où errent des automates malades de leurs choix.
Prix du GNCR, Courir de Maud Alpi (dont Nice avait obtenu le Grand Prix à Pantin en 2009), suit quelques temps de l’engagement d’une adolescente dans la course de fond. Très sec, il peine à exprimer le bouillonnement intérieur que contient en courant sa jeune héroïne. Sans le rendre hermétique, la sobriété de Courir dessine une mue adolescente sans grande originalité. 63 regards, de Christophe Pellet, joue lui à rebours d’une construction chronologique pour parcourir Berlin avec quatre femmes et leurs voix qui racontent un même amant perdu. Souvent mystérieux, le film de Christophe Pellet, mise en images de son beau texte éponyme, est un voyage architectural. Au-delà de la ville arpentée, la parole des femmes s’accroche à l’être dont il ne reste que le souvenir, fait d’elles des fantômes au milieu des rues vivantes, et de l’homme un corps, puis un objet. Une belle et douce vengeance. Dancing Odéon, de Kathy Sebbah, enregistre les (derniers) battements de cœur d’un troisième âge les soirs de fête. Sur une longue piste de danse, se croisent les destins, solitudes, les dragueurs et les vrais fous de danse. À mi-chemin entre fiction et documentaire, Dancing Odéon, si l’on oublie son aspect visite au zoo, est un intéressant réservoir de fictions que le moindre visage excité par la sortie agite en une mimique ou quelques mots. Dommage que Kathy Sebbah ne résiste pas davantage au tourbillon nostalgique de ceux qu’elle filme.
Enfin deux déceptions d’auteurs attendus. En premier lieu Hélier Cisterne, qu’on n’avait pas croisé depuis le Grand Prix bien justifié des Deux Vies du serpent en 2007 à Pantin. Sous la lame de l’épée, trop ancré dans le quotidien terne de ses personnages (une lycéenne plutôt charismatique dont tombe amoureux un élève trop sérieux, incapable de lui montrer sa double vie nocturne de graffeur du métro), suit son scénario platement, sans langueur ni mystère. Franck Vialle (Pétunia et Naphtaline, 2006, HOM (Heart of Mine), 2007…) poursuit sa mise en fiction singulière, avec maison, parents, femme et enfant. Sa force est de créer des ambiances qui dépassent les flous habituels du documentaire et de la fiction. Pourtant cette fois, Dreamcity véhicule une certaine complaisance dans de longues scènes qui ne font plus sens.