Pour sa treizième édition, le plus grand festival national dédié au cinéma fantastique a ouvert ses portes à Gérardmer pendant cinq jours (du 25 au 29 janvier 2006) sur une thématique appropriée : la superstition…
Le président d’honneur de cette sélection n’était autre qu’Hideo Nakata, réalisateur à qui l’on doit les désormais cultes Ring et Dark Water (Grand Prix 2003). Il fut assisté dans sa tâche par les réalisateurs Éric Valette (Maléfique, Prix du jury en 2002), Stuart Samuels (Midnight Movies : From the Margin to the Mainstream) et Jean-Paul Salomé (Belphégor, Arsène Lupin) ; ainsi que les écrivains Maxime Chattam (5e règne, Prix littéraire en 2003) et Bernard Werber (Les Fourmis). Les acteurs ne furent pas en reste au sein de cet atypique jury avec Tom Novembre (Le Loup-Garou de Paris), Claire Keïm (Le roi danse), Gabrielle Lazure (Agents secrets), Antoine Duléry (L’Anniversaire), Zinédine Soualem (Peut-Être), Lou Doillon (Blanche) et la très attendue Natacha Régnier (Grand Prix en 2005 avec Trouble).
Après deux années assez difficiles, Fantastic’Arts se devait de renaître de ses cendres ; Lionel Souchan (Délégué général du festival) et Pierre Sachot (Président du festival) étaient bien décidés à confirmer cette résurrection en proposant une sélection de qualité, s’offrant même le luxe de s’offrir un blockbuster très attendu, présenté hors compétition pour la soirée d’ouverture : Underworld : Evolution. Après deux heures de gesticulations sauce high-tech sur fond de bataille millénaire entre vampires et lycanthropes, le festival était bel et bien lancé.
La sélection officielle de cette année 2006, regroupée principalement en deux grosses journées de projections, a permis aux festivaliers de découvrir quelques pépites (Isolation, Nouvelle cuisine et Fragile) et d’autres très bonnes séries B (The Red Shoes, Reeker, Wolf Creek et Hostel). Seuls Allegro du réalisateur danois Christoffer Boe et le premier film du réalisateur taïwanais Leste Chen, Zhaibian, par leurs traitements en demi-teinte errant constamment entre peur et sensibilité, ne sont jamais parvenus à obtenir plus qu’un timide intérêt de la part d’un public plus connaisseur que jamais.
Le cinéma asiatique, conquérant depuis la fin du XXe siècle, était à l’honneur avec pas moins de trois films en compétition (The Red Shoes, Zhaibian et Nouvelle cuisine). The Red Shoes, nouveau conte asiatique du jeune réalisateur Kim Yong-gyun, se place en filiation directe, par sa beauté visuelle et sa poésie plus plastique que narrative, des autres productions coréennes de ces dernières années (Sur la trace du serpent ou encore Deux sœurs, Grand Prix en 2004). Kim Yong-gyun place constamment le spectateur dans une position d’observation, privilégiant une attitude contemplative. Une fois notre place clairement définie, nous pouvons suivre, terrés au fond de notre siège, l’histoire d’une paire de chaussures rouges qui condamne à une mort violente toute personne qui tenterait de s’en emparer. À ce titre, la première scène est réellement impressionnante. La suite, plus classique et qui aurait gagné à être traitée de façon plus synthétique, met en abîme une étonnante introspection dans la décomposition d’un couple à l’instar de Stanley Kubrick avec Shining ou Jaume Balagueró avec Darkness.
Au contraire, Nouvelle cuisine du réalisateur chinois Fruit Chan, déjà traité sous forme de court-métrage dans 3… extrêmes, gagne pour son adaptation en long métrage une dimension d’analyse et de compréhension absente dans la version courte. Véritable trouvaille de maîtrise et de finesse, Nouvelle cuisine est bien loin des histoires de fantômes et autres œuvres violentes à la limite du sadisme auxquelles les productions asiatiques nous avaient habitués. Véritable conte moderne, d’une rare violence psychologique et sensuelle, Nouvelle cuisine narre l’histoire d’une femme qui veut garder sa beauté à tout prix, même s’il faut pour cela se nourrir de fœtus humains… Un film exemplaire sur le cannibalisme qui rappelle l’injustement méconnu Vorace, malgré une différence totale de traitement. Là où Vorace jouait la carte de la violence visuelle, Nouvelle cuisine joue celle de la finesse. La finalité reste néanmoins la même avec cette abominable révélation : nos sociétés ne se sont établies que par le cannibalisme systématique de ses propres enfants. Une réalisation d’une rare poésie sensuelle et visuelle, en contraste total avec l’horreur des actes perpétrés dans le modeste appartement de tante Mei. Une œuvre sexuelle et brillante !
Les B‑Movies étaient aussi à l’honneur dans cette solide sélection avec le très sympathique Reeker, le réaliste Wolf Creek et le très attendu Hostel.
Reeker, excellente série B digne d’un samedi soir entre amis (comme l’hilarant Satan’s Little Helper dans la catégorie inédit vidéo), fait revenir le spectateur à un cinéma fantastique beaucoup plus classique, au point que son twist final est involontairement le même que celui d’un autre film, Dead End. Avec son second degré assumé, Reeker se place idéalement entre humour et horreur, rappelant les deux derniers opus de la série des Chucky (La Fiancée de Chucky et Le Fils de Chucky) ou encore le cultissime Brain Dead de Peter Jackson. En préambule de son film, Dave Payne confirmait très justement le sentiment général qui suivrait la projection : « Ce qui me manque, dans le cinéma d’horreur actuel, c’est le fun. On a le droit à des films de studios hyper-léchés, trop sérieux, orientés vers les plus de 13 ans, ou à des produits de série Z, destinés au câble ou au marché poubelle de la vidéo. Il n’y a quasiment plus rien entre ces deux extrêmes. Mes films d’horreur favoris ont toujours été flippants, sophistiqués et drôles. Avec celui-ci, j’ai simplement tenté de flanquer la trouille aux spectateurs, de les faire rire, de leur raconter une histoire assez substantielle pour qu’ils aient quelque chose à se mettre sous la dent, mais assez légère pour qu’elle ne leur reste pas sur l’estomac. »
Dans un tout autre registre, Wolf Creek, survival made in Australia présenté par sa très charmante actrice principale Cassandra Magrath, propose une effrayante expérience au pays des marsupiaux bondissants et des déserts à perte de vue. Succès au box office australien et directement inspiré de faits réels, Wolf Creek a l’intelligence de jouer la carte de la simplicité visuelle et sonore, rappelant le cinéma quasi documentaire de Lars von Trier et Thomas Vinterberg. Cette absence d’effets classiques amplifie et crédibilise le cauchemar de la traque ayant fait la renommée de ce genre du fantastique. Un bushman, plus proche d’un reportage du National Geographic que des stéréotypes incarnés par Paul Hogan (Crocodile Dundee) ou Steve Irwin (cascadeur et faux tueur de crocodiles) traque trois héros, nécessairement jeunes, à travers les impressionnants paysages de l’Australie. Malgré quelques petites erreurs de narration ou de rythme, Wolf Creek est un film simple, attachant et diablement efficace, qui aurait mérité un Prix pour encourager son approche différente d’un genre qui a du mal à se renouveler.
Le très attendu Hostel allait entraîner le public dans le gore ultra-violent et méchant… du moins, d’après les rumeurs. Sans conteste la production bénéficiant de la meilleure couverture médiatique de la sélection, Hostel d’Eli Roth sentait le souffre avant même d’être projeté. On nous parlait d’évanouissements et de vomissements aux séances outre-atlantique. De plus, la présence de Takashi Miike (Audition, la série des Dead or Alive) en guest-star et de Quentin Tarantino à la production laissait présager du meilleur, voire du pire suivant le seuil auquel nous placions notre limite du supportable. Et pourtant, après une heure et demie de projection, c’était un sentiment mitigé qui prônait parmi ceux qui en attendait le plus et l’euphorie au sein du public resté jusqu’au bout. Hostel est effectivement un excellent film d’horreur, constamment tiré entre humour très noir et du gore très gore ; tout cela après une première partie très… sexe. Mais contrairement à ce que laissaient supposer les rumeurs et les quelques bandes annonces visibles sur Internet, Hostel ne propose rien de bien méchant pour les aficionados du genre, hormis un décor terriblement flippant rappelant la célèbre inquisition de Torquemada ou le plus récent Saw, le sadisme et l’atmosphère pesante étant sans cesse désamorcés par des moments d’humour très second degré. Hostel est, à l’instar d’un Kill Bill, une œuvre somme du cinéma fantastique d’horreur de ces dernières années, expliquant mieux la présence de Tarantino derrière les commandes. En définitive, un bon film gore, violent à souhait mais bien loin du mythe de sadisme insurmontable que beaucoup attendaient.
En comparaison Sheitan, projeté juste après, a fait l’effet d’un véritable ovni. Film de potes au budget conséquent, Sheitan est un pavé dans la mare de la production française actuelle. Un bordel totalement revendiqué par toute l’équipe du film lors de sa présentation, qui n’a pour but que de dérider une production trop conventionnelle. Hilarant, sexy et inquiétant, Sheitan, gigantesque capharnaüm bien plus organisée que l’aurait laissé penser l’héritage Kourtrajmé, est une première œuvre spontanée et plutôt réussie, qui laisse présager d’une grande carrière pour Kim Chapiron.
Fantastic’Arts a été l’occasion de révéler un réalisateur irlandais, Billy O’Brien, qui par son approche scientifique du cinéma fantastique risque à nouveau de faire parler de lui dans les prochaines années, mais également de consacrer avec quatre Prix sur six un grand nom du cinéma fantastique ibérique : Jaume Balagueró, qui s’était déjà illustré avec La Secte sans nom et Darkness.
Isolation, petit film de science-fiction agricole – si, si, ça existe – fut la véritable surprise de la sélection 2006. Premier film de Billy O’Brien et Grand Prix 2006, Isolation change totalement des habituels sujets du cinéma fantastique de ces dernières années. Loin des survivals (Wolf Creek, Sheitan ou Jeepers Creepers) ou des films gore (Audition ou encore Hostel), Isolation propose une crédible et terrifiante descente dans la boue et les excréments d’une ferme de l’Irlande profonde. Billy O’Brien n’hésite pas à user et abuser de ces références en matière de cinéma fantastique (les films de David Cronenberg ou Alien de Ridley Scott) pour nous faire passer un message éminemment authentique (le cinéaste a passé son enfance dans une de ces fermes) et étonnamment contemporain sur les méfaits de la génétique « à outrance » et de la maladie de la vache folle. Isolation, par son traitement vétérinaire et viscéral, par ses mécanismes de huis-clos bien huilés, par sa violence sèche et brutale, propose un étonnant et efficace regard sur une tranche de notre histoire commune comme le fit un certain réalisateur canadien à la fin du XXe siècle (Videodrome, Dead Zone, Scanners, etc.).
Loin de la simplicité et du rapport à la science mis en avant par Billy O’Brien, Jaume Balagueró nous propose, avec un somptueuse histoire de fantôme, un film sophistiqué à l’approche humaine terriblement percutante. Fragile, troisième film de Jaume Balagueró, se détache véritablement du lot par une redoutable efficacité, une superbe photographie claire-obscure, et un univers convenu parfaitement maîtrisé et déstructuré de l’intérieur. Véritable histoire de fantôme à l’ancienne, Fragile joue avec les codes de ces chroniques éculées en projetant une nouvelle fois un personnage féminin, avec ses forces et sa fragilité, ses failles et ses convictions, dans un lieu sombre et unique : un vieil hôpital perdu dans les brumes filandreuses des îles de Wight, celles-là même qui avaient servi de cadre au film Les Autres de son confrère Alejandro Amenábar. Jaume Balagueró imprime une nouvelle fois la pellicule avec une ambiance terriblement lourde et malsaine, n’hésitant pas s’en prendre directement à des enfants malades. Une intensité cohérente empreinte de paranoïa qui conduit la déroutante Calista Flockhart, criante de vérité, à la découverte d’une réalité perverse et trompeuse. Cerise sur le gâteau, Fragile, avec un public conquis, acquiert à la force de sa réussite une sortie nationale initialement timide suite à l’échec commercial de Darkness.
Hors compétition et dans un tout autre registre, Fantastic’Arts a proposé aux festivaliers d’autres productions étonnantes comme l’excellent documentaire du non moins étonnant Stuart Samuels, Midnight Movies : From the Margin to the Mainstream, projeté au précédent festival de Cannes. Stuart Samuels, ancien professeur d’université, réalise avec un style simple mais à la didactique efficace un documentaire sur le parcours méconnu, entre 1970 et 1977, de six grands films devenus cultes : El Topo (Alejandro Jodorowsky), The Night of the Living Dead (George A. Romero), Pink Flamingos (John Waters), The Harder They Come (Perry Henzell), The Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman) et Eraserhead (David Lynch). Véritables icônes d’une nation en colère, marques sociales et intellectuelles de toute une génération, ces six films à petit budget, projetés uniquement aux séances de minuit, ont influencé la manière de voir, de faire et de penser le cinéma, en dépassant les frontières du mauvais goût et des tabous sociaux. Stuart Samuels nous propose non seulement un voyage dans le temps mais une prise de conscience de notre propre identité sociale. Une œuvre didactique unique et indispensable, à voir dès sa sortie en salle normalement prévue pour cet été.
À côté de toutes ces œuvres uniques, le festival du film fantastique de Gérardmer, c’est aussi la projection de grands classiques du cinéma fantastique avec Vaudou ou The Night of the Living Dead ; des nuits cultes comme la nuit Vendredi 13 (Vendredi 13, Jason X, etc.) ou Masters of Horror (avec le très attendu Cigarette Burns du retraité auto-proclamé John Carpenter ou Homecoming du très engagé Joe Dante) ; des courts-métrages fantastiques (Le Baiser, Prix du meilleur court-métrage ou encore Yse) et des inédits vidéo totalement hilarants comme Satan’s Little Helper ou désespérément Z comme Mosquitoman… Sans oublier, bien sûr, les incontournables bretzels.