C’est une histoire presque banale : celle de jeunes gens romantiques, tous obsédés à des degrés divers par la mort – la leur, celle de leur compagnon – à laquelle ils opposent un amour passionné et chimérique, auquel tout le propos du film est de donner corps et vraisemblance. Soit Samuel (Guillaume Allardi), un jeune homme qui rencontre, au cours d’une balade en forêt, la jeune Nouk sur le point de s’immerger dans un fleuve gelé. C’est un suicide – dont Samuel la sauve. Il devient son amant. Bien vite rattrapée par l’antagonisme entre le désir d’indépendance de Samuel et l’amour possessif de Nouk, l’histoire du couple est arrêtée nette par un accident de vélo. Arrêtée nette dans notre monde… mais elle continue ailleurs : Samuel atterrit au royaume des morts où il est laissé, suite à une banale faute de frappe, dans un entre-deux, une sorte de purgatoire dont il va tenter de s’échapper pour revenir à la vie. Les pieds sur terre, l’esprit dans l’autre monde, Nouk s’attache de son côté à sauver son amour, captant tant bien que mal les interférences qui lui permettent d’entrer en contact avec Samuel…
Film centré à plein sur les sentiments de ses personnages, tous habités par un romantisme presque suranné, La Fille et le fleuve fait le choix de la sensibilité et de la poésie. Rendant compte de sentiments dont il n’interroge jamais l’origine, ce deuxième long-métrage échappe à la pesanteur guindée et démonstrative qui le guette parfois (voix off, plans répétés sur l’eau du fleuve, mise en abyme de l’expression des sentiments dans le jeu et la représentation…) par l’audace de son incarnation fantastique. Sept ans déjà après son sobre et mystérieux L’Homme qui marche (2007), Aurélia Georges propose en effet un film à la croisée des mondes, une représentation moderne, simple et cérébrale de l’au-delà. L’astuce principale du film réside dans sa capacité à incarner visuellement, à la hauteur de ses moyens, mysticisme et fantastique. Ainsi le royaume des morts dans lequel se retrouve le personnage de Samuel est représenté dans sa plus simple facture : lumière, épure, formalisme sont les motifs de cet au-delà, stylisé à l’extrême, qui offrent à la réalisatrice le pouvoir de donner corps et vraisemblance au souffle poétique qui porte son anecdote. On sent surtout l’immense plaisir qu’il y a à mettre en scène un tel scénario – l’au-delà devient le lieu des possibles, où Samuel a le choix, en attendant que sa situation soit régularisée, entre une lecture de Nabokov et une conférence de Mileva Einstein sur la théorie de la relativité…
Avec inventivité, la réalisatrice contourne sobrement et par une extrême simplicité la petitesse de ses moyens de production. Le visuel est ici réduit à son plus simple état, et offre la belle, sobre et rare incarnation d’une spiritualité et d’un mysticisme qui gardent toujours les pieds sur terre – et viennent même avec un peu d’humour.