Damián Szifrón est sans doute le principal invité surprise de cette compétition officielle. Argentin, moins de 40 ans, deux films à son actif (le dernier réalisé en 2005), il joue aussi le rôle de l’inconnu. Alors on a envie d’y croire, à son amusant préambule où les passagers d’un avion se rendent compte peu à peu qu’ils sont tous liés à Gabriel Pasternak. Ce raté décide par ce biais de régler ses comptes pour de bon avec les acteurs de son existence : un piqué tout droit sur un couple âgé se pavanant au cœur de son antre pavillonnaire. Il s’agit donc du premier sketch, d’autres suivront après un générique où défilent des animaux sauvages : la vie sera cette jungle où l’homme déraille parfois de la bienséance de la civilisation pour se laisser aller à quelque instinct primitif.
On a envie d’y croire mais on n’y croit pas bien longtemps, le film n’en est pas vraiment un, c’est le déroulé d’une idée (cf. plus ci-dessus). À la fin de la projection, on sera mieux armé car l’on aura appris que le monde est cruel – il y a notamment des inégalités sociales (des riches et des pauvres), des injustices (des PV abusifs), des tromperies (des adultères). Et puis aussi de la violence. Bien planqué derrière la farce avec des rebondissements (tout ça n’est pas si simple), le rapport à la violence n’en est pas moins complaisant et dessine peu à peu une bonne vieille fable populiste. L’an dernier était présenté dans la même compétition A Touch of Sin de Jia Zhang-ke qui partageait les mêmes motifs (frustration et humiliation sociales débouchant sur des pics de violences) et une même structure segmentée. On peut alors bien mesurer toute la distance entre ces deux films, quand Jia Zhang-ke déployait une cartographie chinoise et un réseau souterrain de cette violence – avec la question sous-jacente du soulèvement et de l’insurrection –, Relatos Salvajes fait paresseusement grouiller un petit monde dans sa fange. Quant à la mise en scène, ce n’est peut-être pas la peine d’insister sur l’abîme entre l’un et l’autre film : la précision et l’attention d’une part, les gros sabots de l’autre.
Absents cette année, Matteo Garrone et/ou Paolo Sorrentino ne nous manquent pas, mais on se demande s’ils n’ont pas envoyé une taupe nommée Damián Szifrón. Le pire est que ce dernier tient parfois de belles choses, comme cette improbable réconciliation du couple lors du sketch final. Mais il noie immédiatement cet étonnant instant de cinéma dans sa surenchère systématique : Relatos Salvajes se termine logiquement par un coït dans un gros gâteau à la crème.