À la croisée des chemins entre fiction et documentaire, le film de Fabianny Deschamps décrit une forme d’errance, un voyage entre différents espaces de la Chine d’aujourd’hui : Hong Kong, Canton et le village de Shantou. Elle dessine ainsi une cartographie poétique, composée de fragments, qui navigue entre espaces ruraux et ville hyper-moderne, à travers le cheminement de deux personnages féminins. L’un n’est qu’une voix, l’autre une pure présence physique, qui ne s’exprime que très succinctement à l’écran. New Territories prétend ainsi à la synthèse, à la fusion de ces deux femmes, qui représentent pourtant des aspirations on ne peut plus éloignées.
Mystique du montage
Eve est une femme issue du monde moderne, qui vient en Chine pour promouvoir un nouveau mode d’incinération baptisé « aquamation ». Procédé qui consiste en la dissolution du corps en le plongeant dans un liquide qui va le réduire à ses composants minéraux et organiques les plus essentiels. Li Yu, originaire du village de Shantou, s’extirpe du carcan traditionnel de la Chine, et raconte en voix off comment elle compte se rendre clandestinement à Hong Kong. Le montage instaure d’emblée une proximité entre les personnages, construisant ainsi un portrait double : celui des lieux et des solitudes qui les traversent.
Il y a dans New Territories une sorte de mystique du montage, qui transite par la thématique de la crémation, comme si la caméra représentait le regard des morts sur les vivants. Car l’aquamation, vendue comme un processus écologique, suscite pourtant l’ire des traditionalistes, empêchant les morts de se rattacher à la terre, les obligeant à errer sans but à la surface du globe. La caméra devient alors une étrange observatrice, surtout lorsqu’elle pose son regard sur un Hong Kong funeste, purgatoire à ciel ouvert dont Eve n’arrive plus à se détacher. C’est ainsi qu’elle se retrouve littéralement hantée par Li Yu, dont la voix vient toujours plus phagocyter les images de ses propres pérégrinations.
Les affaires de ce monde
New Territories devient alors récit d’une possession, d’un réel qui semble échapper aux vivants, et que seule la caméra est en mesure de saisir. Fabianny Deschamps fabrique une composition sous hypnose, qui charme le spectateur par l’enchevêtrement des images, et la manière dont la voix off les reformule. Tout paraît alors, comme l’exprime ce mantra qui revient à longueur de film, « semblable et différent ». Comme si l’œil du cinéaste, en posant son regard sur les affaires de ce monde, avait permis d’en révéler quelque chose qui n’avait encore jamais été vu, avant de les laisser reprendre leur place.