Pour qui ne connaissait pas les courts métrages précédents de Léa Mysius, Ava s’avançait avec le profil typique du premier long métrage estampillé Fémis que l’on redoute parfois à Cannes. Ce serait ignorer ce qui faisait déjà le sel des Oiseaux-tonnerre et de L’Île jaune réalisés en 2014 et 2015, soit la capacité de la jeune cinéaste à s’emparer d’un territoire atypique pour y jeter, comme des pions sur un terrain de jeu, ses personnages enroulés dans les préoccupations intimes de l’enfance ou l’adolescence. Ava, titre du film et prénom de la protagoniste principal, ne renie pas ces travaux précédents mais choisit de les prolonger en ne s’affichant pas comme le feel-good movie envisagé pour cet été dans les salles françaises. C’est que Léa Mysius injecte dans son récit estival suffisamment de trouble (érotique, politique ou encore narratif) pour convaincre d’emblée que son film, aussi solaire soit-il, doit sa réussite à son aspect rêche et plus retors qu’il n’y paraît.
C’est l’été donc sur la côte atlantique en Gironde. Une mère et sa fille de 13 ans viennent passer quinze jours de vacances à Montalivet, entre après-midi à la plage et balade sur les dunes de sable. Le séjour est gâché par une nouvelle saisissante : Ava perd progressivement la vue. Et le film de figurer ainsi ce handicap naissant moins comme une perte irrémédiable que comme la possibilité de découvrir enfin le monde. De fait, c’est l’enfance qui disparaît littéralement pour la jeune fille qui s’entiche d’un chien noir rodant aux alentours – chien appartenant à un beau garçon du coin et qui fait le lien entre la vue progressivement obscurcie d’Ava et la découverte de son corps à cet âge incertain. C’est que le film furète lui aussi allégrement sur des sentiers que l’on ne peut que se réjouir de le voir emprunter : Ava assume une représentation de la sexualité aussi évidente que cette scène où le corps nu de sa protagoniste aux yeux bandés s’offre à l’océan. Cousin pas si éloigné en cela d’une version vagabonde du John From de João Nicolau, le film de Léa Mysius cultive également une dimension politique à la noirceur étonnante, la présence de la police (à cheval ou à pieds) revenant régulièrement troubler l’idylle naissante entre la jeune femme et ce jeune homme dont on comprendra vite qu’il est en fuite. Et le film de s’embarquer alors dans un road-movie qui permet à la cinéaste de s’autoriser des embardées formelles déjouant les codes du naturalisme adoptés majoritairement jusqu’alors. Reste ainsi en mémoire cette séquence découpée en de multiples split-screens où les deux tourtereaux renaissent en Robin des Bois modernes, subtilisant aux vacanciers naturistes leurs effets personnels. Si le dernier mouvement du film lui fait prendre un virage plus conventionnel (en expliquant notamment les raisons de la fuite du jeune Juan alors que la raison de la présence du garçon pouvait se suffire à une matérialisation des fantasmes d’Ava), il ne faudrait pas oublier de saluer l’interprétation féroce de Noée Abita, toute de colère rentrée et dégageant, à l’image du film, une vitalité déconcertante qui ne fait cependant pas l’économie d’une certaine lucidité face au monde et ses impasses quand on a 13 ans.