Après Vendredi soir et 35 Rhums, Un beau soleil intérieur est un retour à la veine parisienne et intimiste du cinéma de Claire Denis. La cinéaste conserve son mélange audacieux de crudité et sensualité habituelle, en s’attaquant sans réserve à la vie sexuelle tourmentée d’Isabelle (Juliette Binoche), une cinquantenaire paumée. Cela commence par une étreinte difficile avec un banquier ventripotent (Xavier Beauvois), avant d’entamer une longue quête affective, oscillant entre de beaux instants d’épiphanies amoureuses et des moments de déconvenue burlesque. Le film est donc une histoire d’hésitation sentimentale, un parcours séduisant le long d’une belle galerie de portraits et d’acteurs masculins (Philippe Katerine en bon samaritain précieux, Duvauchelle un amoureux indécis, Paul Blain l’âme-sœur mutique, Bruno Podalydès le galeriste jaloux). La cinéaste file d’ailleurs la métaphore de l’errance par d’innombrables trajets sur roues et sur rails où Juliette Binoche se réfugie pour songer, draguer et pleurer toute sa solitude. Mais Claire Denis semble aussi elle-même étrangement partagée entre la justesse et les clichés sur la femme en quête d’amour, entre des dialogues affreusement redondants et de très beaux silences. Lorsque le personnage de Binoche tombe dans les bras de Duvauchelle, celle-ci semble s’exclamer à la place de la cinéaste : « enfin, je n’en pouvais plus de tous ces mots. »
Règlement de compte
De même, la romance aux allures d’autofiction fait de soudaines embardées dans le coup de gueule socio-politique. Claire Denis trouve un ton satirique inhabituel et un peu caricatural, pointant du doigt la prétention atterrante du milieu de l’art et de la finance. Isabelle subit en effet l’indécision de ses amants (l’inversion des sexes est alors criante et plutôt réussie) mais aussi de son milieu bobo (elle est peintre). Elle règle ses comptes lors d’une crise de nerfs burlesque, alors que ses petits camarades galeristes s’extasient devant les beautés de la campagne. Sous prétexte d’absence de compromis et de réalisme sincère, le film tient parfois de la confession brute et sans filtre où Claire Denis oscille pourtant entre le refus des tabous et de curieux accès de timidité. On filme en gros plan une main posée directement sur un sein, mais le cadre s’immobilise pudiquement à la taille des acteurs alors qu’un amant grossier oblige l’héroïne à mettre la main à son entrejambe, mais évoque la « douce flanelle » de son pantalon. Comme si les dialogues écrits avec Christine Angot l’emportaient cruellement sur l’image, comme si la fascination pour les mots de l’écrivain avaient par trop envoûté la grande réalisatrice.