Dans la file d’attente du nouveau Takeshi Miike, un confrère un peu anxieux se confie : « La dernière fois que j’ai vu un film de lui, c’était Audition, et je me suis évanoui. » On sourit poliment, parce que c’est excessif, mais tout est dit : traditionnellement prié de décoiffer par ses outrances, le petit frisson asiatique aura cette année rempli son cahier des charges avec zèle. De fait, kill’em all au katana dans le Japon de l’ère Edo (XVIIIe siècle), Blade of the Immortal fait couler le sang en hectolitres, et vaut le coup d’œil pour au moins deux raisons. La première, c’est qu’en regard d’une compétition toujours aussi prudente sur le cinéma de genre, cette adaptation boulimique du manga culte de Hiroaki Samura (publié entre 1993 et 2012) suffit à combler les plus insatiables fringales. Constitué d’une enfilade de combats brutaux, on y suit un samouraï condamné par ses crimes à devoir exécuter mille hommes avant d’accéder au repos éternel. Pour faire simple, avec son programme boule de neige faisant de chaque nouveau cadavre une marche de plus en direction du dernier boss (un samouraï émancipé tentant d’imposer sa nouvelle école par la force – et accessoirement responsable de la mort de la famille de Rin, orpheline que le protagoniste prend sous son aile), le film ressemble à un bout à bout de trente épisodes de Ken le Survivant sans réclames. Naturellement, ce ne sera pas au goût de tout le monde, mais les amateurs de fantastique sanguinolent et de western au pays du soleil levant en auront pour leur argent.
La seconde raison de s’y intéresser, c’est qu’avec ses quêtes sans promesse d’exténuation et l’euphorie de son kill count, le récit, doté des mêmes facultés auto-régénératrices que son héros, avale les séquences identiques à un rythme infatigable – et presque sans lasser. Parfaitement souverain sur son imaginaire, il offre un contrepoint fun et orgueilleux aux blockbusters adaptés de comics, dont les sources d’inspirations apparaissent aujourd’hui totalement asséchées. À titre de comparaison, il ne serait pas trop exagéré de voir dans ce protagoniste invincible et suicidaire une version « rônin » du plus dark des Wolverine de Marvel, et surtout du Marv de Sin City, sur lequel Miike semble lorgner au moins une fois, au détour d’un interminable duel soldé par la transformation de l’adversaire en homme-tronc (rappelant cette séquence du film de Rodriguez de 2005, où le psychopathe interprété par Elijah Wood subissait le même sort, entre les mains bouffies de Mickey Rourke). Tout cela n’est hélas qu’un pied de nez tristement anecdotique, quand on sait qu’à l’image des 90% de l’œuvre pléthorique du cinéaste, Blade of the Immortal a peu de chances de trouver le chemin des salles à l’international. Pas encore de quoi offrir de véritable alternative au monopole du Comics sur le super hero movie, mais il aura copieusement rassasié les quelques happy few de la croisette en manque d’hémoglobine.