Avec Faute d’amour d’Andreï Zviaguintsev, la compétition de ce soixante-dixième Festival de Cannes s’ouvre avec un film pour le moins binaire. Aliocha, garçonnet de douze ans, est un enfant solitaire qui apprend au détour d’une conversation entre ses parents en plein divorce qu’aucun des deux ne va solliciter sa garde. Déboussolé par cette révélation, il se volatilise. Sa disparition provoque bien entendu une trouée dans un récit qui, jusqu’à cet événement déclencheur, alternait sagement les séquences mettant en scène les vies nouvelles de sa mère et de son père. Si les parents s’opposent soigneusement (l’un vit avec sa nouvelle petite amie enceinte et travaille dans une entreprise tenue par un orthodoxe pur et dur, l’autre embrasse un quotidien plus bourgeois et jouit de son temps libre pour prendre soin d’elle et multiplier les selfies), l’enfant, lui, indéfini et mystérieux, s’affranchit des lignes saillantes de la dramaturgie. Telle est la direction que pointait déjà la scène d’ouverture, mettant en scène un enfermement (des branches gelées et leurs reflets dans une rivière composant une suite de prisons que Zviaguintsev cadre avec une picturalité appuyée) mais aussi l’échappée d’un enfant passe-muraille se faufilant entre les arbres pour mettre à bas une frontière – un bandeau que l’enfant arrache au sol pour le suspendre à la branche d’un arbre. De façon attendue, Zviaguintsev conclut son film par ce même plan, qu’il précède d’une série de saynètes sur l’aliénation au cœur de la vie des protagonistes : un nouveau-né enfermé dans sa prison-berceau, le père surcadré en train de regarder la télévision dans son nouveau logis, la mère faisant de l’exercice sur le petit box de verre qui lui sert de balcon.
La bêtise de cette conclusion, d’une pauvreté mal masquée sous les ors de mouvements d’appareil sentencieux, réduit l’horizon de la disparition à un impératif de scénario et de suspense (l’enfant est-il vivant ? Va-t-on le retrouver ?), à l’image de nombreuses séquences de recherche dont la durée favorise en principe le surgissement ou la découverte d’une trace du disparu. De ce principe a priori d’efficacité le film ne fait presque rien (si ce n’est punir les parents dans une séquence à la morgue où l’incertitude est poussée à son paroxysme) et s’en remet à une écriture franchement académique – effets purement décoratifs, plans-séquences étirés, innombrables travellings avant dont la fonction est, littéralement, d’appuyer le sens du plan, Arvö Part pour forcer le lyrisme, etc. Reste que cette inanité de forme et de pensée tient surtout au regard étriqué de l’auteur, qui fait de cet argument narratif prometteur le terreau d’une critique aussi superficielle que surplombante de la société russe et de la culture de soi.