Quel est donc ce « carré » qui donne son titre au nouveau film de Ruben Östlund ? C’est d’abord le nom d’une installation d’art contemporain qui pose de façon assez limpide le rapport de soi à autrui. C’est ensuite une idée de cinéma qui porte en elle un idéal ludique : le carré renvoie bien entendu au cadre (mais aussi à l’écran, sur lequel apparaît un homme-singe qui sortira plus tard de sa cage), mais surtout à la scène comme unité métrique de jeu. Là est la force de The Square, malgré ses (nombreux) défauts : une propension à l’incertitude et à l’emballement de situations aussi absurdes qu’arbitraires. Le carré est alors un cadre posé avec lequel le héros (un curateur arrogant) doit s’accommoder (exemple : une histoire d’un soir qui vient demander des explications à son amant) mais aussi un piège qui menace de se refermer sur lui. Curieusement, ce versant-là donne moins libre cours à un regard entomologiste (comme dans Snow Therapy) qu’à un comique atonal, foncièrement dissonant, qui tire sur la durée pour explorer le potentiel des situations.
Dommage qu’Östlund ne creuse pas davantage sa veine abstraite et s’en remette in fine à une conclusion qui ménage un flottement parfaitement artificiel tout en clarifiant les enjeux souterrains du film (vanité de l’homme, hypocrisie de la bourgeoisie, déshumanisation de nos satanées sociétés contemporaines rivées sur leurs smartphones). Il ne faudrait toutefois pas complètement balayer la proposition d’un revers de la main : si Östlund ne tient pas son film jusqu’à terme et finit par sacrifier la belle étrangeté de sa dynamique sur l’autel de la lisibilité, son burlesque froid semble ici gagner en épaisseur et pourrait produire à l’avenir un film pleinement accompli.