Le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg – 2ème du nom mais héritier du Hammer Film Festival et du Spectre Film Festival – proposait cette année une programmation alléchante, avec sept films en compétition, une rétrospective Roger Corman, des courts métrages, un hommage à Georges Franju ainsi que quelques autres gâteries pour les fans du genre (séances spéciales, films hors compétitions, expos, concours et rencontres). Nous proposons de vous donner ici un petit aperçu de la manifestation à travers la chronique de trois de ses films.
Superbe œuvre dont la réputation flatteuse n’est pas usurpée, Les Yeux sans visage – projetés dès le lendemain de l’ouverture – ont constitué une entrée en matière parfaite dans ce festival. Franju y expose l’histoire d’un chirurgien fou, le Pr Génissier, qui capture des jeunes filles afin de prélever leurs visages pour les greffer sur sa fille Christiane, défigurée par un accident dont il est responsable. Pour cacher son visage mutilé, cette dernière porte un masque de cire qui lui fige les traits, et dont les seuls éléments vivant sont ses yeux. L’approche très originale de Franju consiste à laisser se fissurer au fil du film un point de vue clinique et rigoureux pour libérer un langage poétique et allégorique.
Franju déploie son film avec une mise en scène maîtrisée et précise, parfaitement appariée au caractère de Génissier. On retient en particulier la magnifique séquence d’images fixes montrant la dégradation progressive du visage d’Édith Scob lors du rejet de greffe, accompagnée d’un commentaire médical impersonnel et glaçant. Mais la véritable réussite de la mise en scène tient à ce qu’elle se refuse à montrer. Le visage défiguré n’est jamais révélé frontalement, mais toujours dissimulé sous un masque, par le flou du réveil ou par un plan de dos. Franju évite ainsi plusieurs écueils (ceux du gore pur et du pathétique) et multiplie la force de ses effets qui se trouvent intensifiés par l’imagination des spectateurs. Il a également l’intelligence de ne pas montrer le visage de Christiane avant l’accident. On se trouve donc confronté à la beauté effrayante du visage greffé sans savoir s’il faut en retenir l’évidente beauté plastique ou une probable altération par rapport à l’original. Le visage troublant et atypique d’Édith Scob entretient parfaitement cette ambiguïté.
Franju cantonne – avec raison – l’enquête policière au second plan et laisse légèrement filtrer l’humanité de ses personnages : la renaissance de Christiane est préfigurée par les lèvres de son masque qui s’animent d’infimes mouvements et Génissier se laisse trahir par de petites hésitations. Le film se conclut sur un terrain purement symbolique, dans une dernière scène lyrique où Nature et Liberté prennent leur revanche en défigurant à leur tour le Pr Génissier. Le message final est d’une extrême mélancolie : il faut se perdre soi-même pour recouvrer sa liberté.
Moon de Duncan Jones (2009)
La compétition avait cette année un visage très éclectique, avec un thriller psychologique (Triangle de Christopher Smith), une comédie gore (Dead Snow du Norvégien Tommy Wirkola, qui a emporté le prix du public), un film historico-fantastique (Bathory du maître slovaque Juraj Jakubisco), un film d’anticipation animé (Metropia de Tarik Saleh), ainsi que le nouvel opus de Catherine Breillat, Barbe Bleue. Mais c’est du côté de la science-fiction qu’il fallait chercher le grand vainqueur du festival. Moon, de Duncan Jones – déjà présenté à Sundance cette année et auréolé de lauriers au festival d’Édimbourg – a été récompensé par l’Octopus d’or du meilleur film fantastique européen. The Children, film d’horreur dont la sortie nationale est programmée pour le 21 octobre 2009, s’est quant à lui vu récompensé par une mention spéciale du jury, qui était cette année présidé par Roger Corman.
Moon s’ouvre sur un spot publicitaire ventant les mérites de la multinationale Lunar qui alimente la terre en énergie propre à partir « d’hélium 3 » qu’elle importe de la lune. Puis on suit le quotidien de Sam Bell, employé de Lunar qui gère avec l’aide de son robot Gerty la station lunaire et les moissonneuses géantes qui sillonnent la surface de la lune pour récolter l’hélium 3. Dès les premières minutes, l’ambiguïté envahit les conversations parfois anodines entre Sam et son robot, et l’esprit de 2001, l’odyssée de l’espace infiltre subtilement le film (à ceci prêt que HAL, ça sonne quand même un peu mieux que « Gerty »). Duncan Jones continue d’alourdir le climat qui règne dans la base lunaire en y introduisant un « double » de Sam Bell et en brouillant les repères spatio-temporels des spectateurs par un petit tour de passe-passe scénaristique bien maîtrisé. On ne sait alors plus vraiment s’il s’agit d’une hallucination, ni qui est le « vrai Sam » ou même quand la scène se déroule. On finit peu à peu par comprendre, au terme de cette première partie très prometteuse, le vrai sujet du film : mettre face à face deux être identiques en tout point, c’est-à-dire deux clones qui ont exactement le même vécu. Mais le film s’englue alors dans des réflexes de grosse production sans âme et dévoile son manque d’ambitions cinématographiques. Il ne propose plus qu’un traitement grossier de la relation entre les deux Sam et un enchaînement de scènes quasi mécanique qui semblent plus guidé par la nécessité d’offrir aux spectateurs une pale réplique des grands space-operas et un dénouement à la dernière seconde (compte à rebours à l’appui) que par celle de laisser cette relation – potentiellement passionnante – se développer à son rythme. On commence alors aussi à déplorer l’imagerie futuriste dénuée de toute originalité, qui semble plus tenir de la simple copie que de la sublimation en forme d’hommage de celles des films de science-fiction des années 1960 et 70. La déception est d’autant plus sévère que les promesses portées par Moon étaient grandes. On préférera donc en retenir la violente attaque contre le capitalisme sauvage, et espérer un remake qui se concentrerait sur les perspectives escamotées par Duncan Jones. Une dernière chose pour être tout à fait complet au sujet de Moon : on a trouvé qu’il était tout à l’honneur de Duncan Jones (ou à celui des organisateurs du festival), de ne pas mentionner dans la brochure et dans le dossier de presse qu’il était le fils de David Bowie.
Machine-Gun Kelly de Roger Corman (1958)
Petite incursion en dehors du fantastique dans la rétrospective de Roger Corman, avec Machine-Gun Kelly (Mitraillette Kelly en version française), film de gangsters tourné en quelques jours, qui fut inspiré par la vie de George Kelly, brigand ayant connu son heure de gloire avec le kidnapping du magnat du pétrole Charles F. Urschel dans les années 1930. Le générique se crible d’impacts de balles au rythme d’une batterie jazz, s’ensuit un hold-up très stylisé (seules les ombres des gardiens apparaissent), puis une fuite rythmée et virevoltante à travers la foret environnante, où les membres de la bande changent de voitures, se débarrassent de leurs armes et confient leur butin à un complice selon une chorégraphie très minutieuse. Puis, peu à peu, le professionnalisme du gang, sur lequel le film insiste encore pendant la préparation du second braquage, fait place à un amateurisme flagrant. Kelly se fait envahir par la peur, et il ne parvient plus qu’à gérer la pression et l’adversité par des irruptions de violence ou des crises d’impuissance.
Corman s’appuie – avec un savoir-faire évident – sur bon nombre de « standards » du film de gangster : seconds rôles de cartes postales, dispute entre gangsters à propos du partage du butin, enquête policière reléguée au second plan, tension lors des rencontres impromptues avec les forces de l’ordre qui risquent de démasquer les membres du gang… Film de gangster présentant la particularité de dévoiler les faiblesses et la couardise de son personnage principal, Machine-Gun Kelly est un divertissement solide, dont la charpente, bien que relativement classique, est traversée par quelques fulgurances de mise en scène (les vingt premières minutes) et par quelques idées bien senties (comme la station-service qui exhibe des animaux dangereux). Corman réalise – une fois n’est pas coutume – un film dont la qualité est bien supérieure aux moyens modestes qui étaient à sa disposition, avec en prime un Charles Bronson efficace dans le rôle titre.