Lorsque Petr (Pavel Liška, vu dans Something Like Happiness, du même réalisateur) débarque dans un petit village de République Tchèque après avoir enseigné dans un lycée de Prague, le directeur de sa nouvelle école s’étonne : qu’est-ce qu’un jeune homme comme lui est venu faire dans un patelin aussi paumé ? Petr ne répond pas, Petr ne sourit pas. Il s’installe dans une ferme qu’il sous-loue et partage avec la vieille mère du directeur. Confort minimal, isolement maximal : comme le soupçonne son nouveau supérieur, Petr a effectivement quelque chose à cacher. On s’en doute un peu, mais le réalisateur Bohdan Sláma se garde bien de nous le révéler tout de suite. Tranquillement, il prend le temps de planter le décor, nous guide à travers les champs, les chemins et les fermes de cette campagne ensoleillée. Sa caméra accompagne les moindres mouvements des personnages ; elle caresse leurs visages, s’attarde sur leurs corps assoupis sous les arbres ou au creux des meules, suit leurs éclats de rire et leurs regards gênés ou interrogateurs. En une poignée de scènes, on est conquis.
Pourtant, quelque chose ne va pas. Dans la moue boudeuse de Petr, qui cache sans doute une blessure que l’on devine, mais qu’il se refuse à partager. Petr garde tout pour lui, au point d’étouffer. Il rencontre Marie, agricultrice plus âgée que lui, qui vit seule dans sa ferme avec son fils adolescent et sa petite amie. Là encore, les silences se font lourds. Les nuages se forment au-dessus de leurs têtes. Les corps se frôlent, les regards se perdent et les désirs montent. L’orage ne va pas tarder à gronder…
On suivrait volontiers Bohdan Sláma jusqu’au bout de cette chronique douce-amère, qui joue sur le non-dit avec une telle aisance qu’on ne cherche pas particulièrement à obtenir des réponses. Mais le réalisateur offre à Petr − et au film − une rupture : lors d’un week-end à Prague, chez ses parents, le jeune prof révèle la cause de son mal-être. Sans révéler son secret (de Polichinelle), on peut dire que le film, dès lors, se fait plus grave, plus tourmenté… et plus maladroit. De retour à la campagne, Petr s’enfonce dans ses névroses. Ses retrouvailles forcées avec un vieil ami donnent le la : improbable beauf qui se la joue pubard branché, le pote en question offre une incursion aussi improbable que grossière dans le passé de Petr. On n’y croit guère, pas plus qu’aux tourments adolescents du fils de Marie et de sa petite amie. La délicatesse qui caractérisait jusqu’alors Country Teacher cède la place à une pose affectée : pour un peu, on s’attend presque à voir les personnages se prostrer et attendre le Déluge. Petr, Marie et les autres n’expriment leurs sentiments que par doses homéopathiques, et ce trop-plein de frustrations et de rancœurs rentrées finit par se retourner contre le film. En perdant sa sensibilité, Country Teacher devient ennuyeux.
C’est par la grâce d’un événement bouleversant et bien réel, capté sur le vif (l’accouchement d’un veau par Petr, Marie et son fils) que le film renoue avec le spectateur et s’abandonne enfin à l’émotion. Bohdan Sláma est à quelques minutes de clore son long métrage mais offre à ses héros, in extremis, une rédemption. Un nouveau souffle, un nouvel élan vers une seconde page de leurs vies, et le retour du soleil dans le plan. La possibilité d’être soi, enfin.