Si le cinéma a créé les icônes les plus puissantes du siècle dernier, le film reste le réprouvé des pratiques plastiques accueillies par les musées, car il possède son propre lieu, la salle de cinéma. Cet ostracisme relègue souvent l’art vidéo à la marginalité. On ne peut alors que saluer l’initiative de la nouvelle exposition du musée du Jeu de Paume. La vidéothèque éphémère, intitulée « Faux-Amis », reprend ce que la commissaire d’exposition, Martha Ponsa, nomme des « approches concurrentes des discours dominants » à travers une sélection de courts métrages. Dans cette vidéothèque en accès libre, chacun peut aller et venir entre les cinq espaces vidéo de cette salle ouverte, qui se clôt sur un espace avec grand écran, sur lequel est diffusé l’ensemble de la programmation. Une belle initiative qui donne envie de s’intéresser au dynamisme du cinéma… au musée.
Ces images a priori documentaires sont tout autant de lectures biaisées de l’Histoire, comme pourraient l’être différentes manières d’aborder une même réalité. Le caractère aléatoire du visionnage renvoie à ce que pourrait être un zapping, ou une navigation internet. On flâne dans ce musée, comme l’on pourrait flâner devant différents tableaux. Cette flânerie renvoie également au flux permanent des images de télévision. Mais ici, en opposition à cette frénésie de l’image, le spectateur choisit et sélectionne les images, en les « piochant » dans le « menu » qui lui est offert.
L’exposition est articulée autour de quatre grandes thématiques.
Tout d’abord, « Une relecture de l’histoire officielle » présente le film Comme Diana : la conspiration de la rose de Martin Sastre. Comme dans un feuilleton de télévision, Lady Di vit dans un quartier de Montevideo. En traitant son sujet sur le mode de l’emphase à travers les couleurs et le rythme, Martin Sastre amplifie la sensation de manipulation des médias, exemple type du « faux-ami », quelque chose qui détournerait un fait de son sens premier.
La thématique « Les méandres de la mémoire » aborde des sujets plus personnels, toujours à la première personne. Le témoignage relève de la subjectivité, mais est toujours documentaire car il renseigne un état de fait à un moment donné. Dans Berlinmuren, Lars Laumann s’intéresse à une femme qui décide d’épouser le mur de Berlin. Oui, les objets peuvent susciter des émotions. Que ce soit vrai ou faux… Peu importe. Ce documentaire retrace l’épopée d’une femme en quête de sens à travers ce mariage disloqué par les événements politiques. Les frontières disparaissent, seule la mémoire intime demeure.
Dans la partie « Tensions et identité », le court métrage Y’a plus d’os de Jean-Charles Hue aborde le quotidien des gens du voyage. Le réalisateur montre des situations complexes et cocasses qui semblent être fictionnalisées, car trop invraisemblables pour avoir laissé la caméra s’y immiscer. Le vrai et le faux se mélangent, s’éprouvant dans un écrin aux contours indiscernables d’une vision à mi-chemin entre fiction et documentaire. Son prochain film, La BM du Seigneur, en salle cette semaine, poursuit cette entreprise d’écriture collective, fondée sur des éléments de vie de ses protagonistes.
Dans Ten New Love Songs, qui fait partie de l’ensemble « Méditations sur l’absence et la perte », Annika Ström entremêle des images de sa vie privée, chantant ses propres chansons d’amour sur fond de paysage suédois. À la manière d’une Nan Goldin joyeuse, Annika Ström met en scène sa vie privée pour parler de la difficulté d’aimer. Toujours en légèreté, comme le serait un zapping des différentes possibilités d’aimer. À l’image des autres vidéos, il y a de nombreuses possibilités d’aimer et de regarder, et ces déroutes de la subjectivité viennent ouvrir de nouvelles perspectives de représentation, à la rencontre du ressenti et d’une situation du monde.
Lyotard considère qu’un des pendants du post-modernisme est la dislocation des grands récits au profit d’une infinité de récits plus concis. Ces petites histoires aboutissant à ce que Martha Ponsa rassemble dans son exposition : différentes manières de regarder le monde, qui doivent elles-mêmes appeler à regarder avec un œil neuf le monde qui nous entoure.