Qu’en est-il du polar français ? Engoncé dans les systématismes de la « Qualité Française », il semble définitivement enfermé dans la cage dorée du téléfilm de luxe. Et Olivier Marchal aura beau citer Michael Mann et Jean-Pierre Melville, forcer la noirceur et y mettre tout le savoir-faire des meilleurs techniciens, ce n’est certainement pas lui qui va briser les conventions du genre. Il faudrait pour ça penser un peu moins en pro de la mise en scène et un peu plus en cinéaste.
Prenez un flic désabusé et alcoolique que la vie n’a pas épargné. Plongez-le dans une enquête sur des crimes en série glauques et violents. Enfermez-le dans un environnement poisseux, où la hiérarchie est corrompue et le système pourri. Filmez-le avec soin, en le baignant dans un éclairage contrasté, tout d’ombres ténébreuses et de lumières aveuglantes. Saupoudrez le tout de quelques scènes choc et d’images symboliques et qu’obtenez-vous ? Un polar solide ! La recette est infaillible, quoique assez facile. Combien de fois a‑t-on vu ce genre de film ? Combien en verrons-nous encore ? Devant MR 73, on réalise à quel point les clichés du polar dépressif à la française nous paraissent évidents, profondément ancrés dans notre inconscient de spectateur. Tout cela coule de source : de l’anti-héros à bout de course qui fonce tête baissée vers l’inexorable tragédie, à la face peu reluisante de la police comme reflet de la société. On a fini par s’y habituer et ne plus s’en plaindre. Et il y aura toujours quelques personnes impressionnables pour louer l’audace et la lucidité de ce type de films qui ne font qu’épuiser un réservoir d’histoires qui nourrissent le cinéma et la littérature depuis l’entre-deux-guerres. Bref, on ne sortira manifestement jamais de la « Qualité Française ».
Olivier Marchal avait déjà signé un film symptomatique de cette tendance du bon-vieux-polar-bien-de-chez-nous, le repoussant 36 quai des Orfèvres. Le film avait séduit une partie de la critique et du public, heureux d’y trouver les intentions humbles et populaires du petit film du samedi soir, bien loin des délires « prétentieux » et « élitistes » du cinéma d’auteur. Derrière les louanges, c’est toujours le même débat rance qui revient. Pourtant le film était assez mollasson, l’histoire peu crédible et les acteurs, pour faire solennel, arboraient une moue boudeuse qui leur donnait un air constipé. Avec MR 73, Olivier Marchal, ancien inspecteur de police, continue sur sa lancée avec une histoire encore plus sombre, plus sordide et plus désespérée que jamais, inspirée par son expérience personnelle comme gage d’authenticité. Seulement, dans son dernier film, il ne fait pas tant état d’une vision pessimiste du monde, comme il semble le croire, mais plutôt de sa conception du cinéma, une conception de professionnel où un « bon film » serait la somme de qualités manifestes. Ainsi, l’image soignée de Denis Rouden et le cadre précis de Berto mettent en valeur le jeu désenchanté de Daniel Auteuil, le tout rythmé par le montage nerveux de Raphaële Urtin tandis que la musique de Bruno Coulais y verse une couche de mélancolie. Tout le monde a bien fait son travail et s’est appliqué à la tâche. Et Marchal, en bon entrepreneur de chantier, a tenu son cahier des charges avec méticulosité : de la belle ouvrage. Et c’est bien pour ça que ce n’est pas très palpitant. La mentalité de professionnel, c’est ce qui a toujours défini le cinéma QF. Ça permet de faire des films carrés mais ça limite considérablement leur portée car ils ne se résument finalement qu’à l’étalage d’un savoir-faire de gens du métier, plutôt qu’à l’expression d’un auteur (qui, elle, passe parfois par le manque de savoir-faire justement). « L’important n’est pas de bien filmer, disait Godard, mais de filmer !»
En fait MR 73 est porteur de deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La mauvaise, c’est que le monde est toujours aussi noir, l’âme humaine toujours aussi tourmentée et les hommes livrés à eux-mêmes, à la violence, à la solitude… Arf ! Tant pis, il faudra bien s’en contenter. La bonne, c’est qu’Olivier Marchal a fait des progrès depuis son précédent film. L’intrigue, bien qu’inconsistante, est moins incohérente et branlante que dans 36. La direction d’acteur est plus tenue et moins crispée. Les femmes n’y existent pas que par rapport aux hommes et ont de vrais rôles. Les dialogues ne viennent pas rajouter de la signification à coup de métaphore sexuelle sur ce qui n’en avait pas besoin, mais restent sobres. La musique de Coulais est plus audible et moins omniprésente que la soupe d’Erwann Kermorvant et Axelle Renoir. La déprime a l’air plus sincère et n’est plus un colorant artificiel (même si elle donne le ton). Bref, au lieu d’un film ridicule, il fait un film anodin. Il faudra bien s’en contenter également. Décidément, nous ne sommes pas gâtés…