… et c’est bien dommage, parce que sinon, il serait bon de dire à Will Ferrell, Woody Harrelson et Ken Alterman que la fenêtre du 12ème étage, c’est par là. Et qu’ils emmènent leur pote André « Ice Cold » Benjamin avec eux, parce qu’à eux quatre, ces braves gens ont probablement réussi l’un des films les moins drôles jamais tournés. Le pitch ? Jackie « Love me sexy » Moon va t‑il réussir à sauver son équipe de basket ultra-amateur de la faillite, et lui ouvrir les portes de la NBA ? Fans de basket, restez devant Eurosport ; fans de Will Ferrell, revoyez Zoolander ; et quant aux amateurs de temps perdu, que même eux se replongent plutôt dans Proust, parce que franchement, Semi-Pro : on s’en fout !
La ABA est à la NBA ce qu’une émission d’Intervilles est à une interprétation publique de Mahler, ce qu’une séance publique du Rocky Horror Picture Show au Galande est à une rétrospective intégrale de Bresson à la Cinémathèque : c’est dans le même domaine, mais ce n’est pas tout à fait pareil. En l’occurrence, c’est du basket. La ABA est une ligue semi-professionnelle (d’où le titre, dites) de basket moins guindée que la très… professionnelle NBA, qui a usé et abusé des méthodes les plus improbables pour s’acquérir de la popularité. D’où, la brillante idée de reprendre ce monde un peu décalé d’un sport pas totalement rompu aux ficelles de la professionnalisation pour en faire une comédie décalée et kitsch, dans le ton de Zoolander. Manque de pot : la sauce ne prend pas.
Car même aux USA, où il n’est pas besoin de fournir une brochure explicative de 14 pages aux spectateurs pour qu’ils saisissent toutes les subtilités du sport pro chez l’oncle Sam, Semi-Pro ne recueille très vite que des soupirs empesés. Car, drame pour une comédie : bien vite, on s’ennuie ferme. Dès la fin du générique, même, et ce seulement si on goûte les talents de Will Ferrell en tant que chanteur de funk groovy dans son hit « Love me sexy ». Sinon c’est le drame.
Nous sommes donc dans les années 1970. Jackie Moon s’est taillé un joli succès avec un unique hit, le précité « Love me sexy », qu’il a volé à feu sa mère, ce qui le ronge autant que Macbeth le poids du meurtre de son suzerain, ou peu s’en faut. Il a investi ses gains dans son équipe de basket remplie de joueurs amateurs, auprès desquels il fait office à la fois de capitaine de l’équipe et de promoteur. Dans le premier rôle, il est nul, comme d’ailleurs le sont tous ses joueurs. Dans le second, il est par contre doué d’une imagination assez débridée (faire danser ses joueurs en costumes de poissons, tenter des acrobaties impossibles en patins à roulettes, faire une passe de lutte avec un ours brun…) Mais tout cela ne va pas suffire ! Non plus que l’arrivée de Monix, un des seuls joueurs sérieux de l’équipe, et qui a le malheur, en plus d’être alcoolique et dépressif, de presque porter le nom d’un préservatif… En second plan, les velléités de départ de l’équipe de Clarence « Coffee Black » et l’histoire d’amour contrariée de Monix avec une mademoiselle Lynn vont donner à cette histoire très américaine de succès arraché in extremis à la gueule de l’échec une épaisseur inattendue, une humanité touchante…
Ou pas. Réalisé par le producteur Ken Alterman qui fait ici ses débuts derrière la caméra, Semi-Pro rappelle les productions achetées à la chaîne aux USA par la télévision française pour combler les après-midi fériés entre la énième rediffusion de La Vache et le prisonnier et le tournoi au sommet des Chiffres et des lettres entre Moncuq et Sagnes-et-Goudoulet. Vous vous souvenez ? On se cale bien confortablement le chat sur les genoux, le chocolat chaud fumant dans la main et les yeux rivés à une édifiante histoire de jeune fille abandonnée par ses parents dans l’Amérique des années 1930 mais qui s’en sortira grâce à sa collection de capsule de bouteilles de bières qu’elle a bien fait de sauver d’un terrible naufrage qui a coûté la vie à son chien Poppy, et qui contient la capsule recherchée par un riche playboy de la grande ville qui en profitera pour l’épouser, etc. etc… Le cerveau en veille, on se laisse bercer par les facilités d’une jolie histoire bien édifiante en digérant la dinde du midi.
Manque de pot, Semi-Pro, qui vise avec une impressionnante ambition à conquérir le public jour férié-chocolat chaud-Poppy, ne sait pas choisir entre le délire visuel et l’historiette mignonne. Pas trop délirant, pas trop mièvre, juste un peu des deux pour s’attacher un public pas plus exigeant que ça. L’histoire laisse froid tant elle est téléphonée, le délire fait sourire un instant mais les coins des lèvres retombent bien vite pour laisser place aux bâillements. Et le funk, là-dedans ? Nous sommes dans les années 1970 ! Les acteurs portent des afros improbables, les pattes d’éph’ sont de mises ! Let’s groove tonight, que diable ! Mais non. Disco donnait dans la surenchère auto-parodique mesquine, Semi-Pro oublie tout simplement d’être funky. La sensualité inhérente à ce genre musical aura probablement effrayé les producteurs de ce sage petit film qui n’avait pas vocation à grand-chose, et qui trouve le moyen d’être encore moins que ça.