Wes Craven a vieilli. Celui qui, en 1972, signait l’un des sommets de la vague horrifique fauchée de l’Amérique post-Vietnam avec La Dernière Maison sur la gauche a connu une carrière hollywoodienne en diable : des hauts (La colline a des yeux, Les Griffes de la nuit), des bas (L’Amie mortelle, Un vampire à Brooklyn), un come-back inespéré (la trilogie des Scream)… Après le bide retentissant de Cursed, son projet sur les loups-garous charcuté au montage par les producteurs, Craven a affirmé haut et fort vouloir tourner la page et filmer autre chose que des corps mutilés : le cinéma d’horreur, terminé pour lui. Red Eye marque l’avènement d’un nouveau Wes Craven, mettant ses talents de maître du suspense au profit de projets moins gore, plus grand public.
Ce n’est pas la première fois que le réalisateur s’éloigne du genre qui a fait sa renommée : en 1999, il mettait en scène La Musique de mon cœur, de triste mémoire, peut-être le film le plus (involontairement) effrayant de sa carrière, sorte de Cercle des poètes disparus musical qui aura quand même valu à Meryl Streep une nomination aux Oscars. Avec Red Eye, Wes Craven reste dans un univers plus proche de lui : la montée de l’angoisse. En s’obligeant à ménager les effets sanguinolents pour se concentrer sur la mécanique de la peur, le réalisateur réussit partiellement, sur la première partie de son film, à maintenir une réelle pression.
Red Eye commence comme une comédie romantique très niaise, et cette fausse piste un peu facile (le spectateur a vu la bande annonce, il n’est pas dupe de ce qui l’attend) donne au film une certaine fraîcheur : puisqu’on sait d’avance que les choses vont mal tourner, on peut prendre du plaisir à se laisser embarquer dans ces faux-semblants légèrement racoleurs. Lisa (Rachel McAdams, sorte de Julia Roberts édulcorée) est une jeune femme pressée : accrochée à son téléphone, elle s’apprête à prendre l’avion tout en dialoguant tout à tour avec son père et sa collègue de boulot (elle travaille dans un grand hôtel de luxe). Son vol étant retardé, elle sympathise avec un mystérieux et séduisant inconnu (Cillian Murphy, très à l’aise dans le registre du monstre à belle gueule). Quand elle découvre que celui-ci est aussi son voisin dans l’avion, elle croit à un heureux hasard. Ce qui n’est évidemment pas le cas : si la jeune femme refuse de coopérer dans la machination d’un attentat contre le secrétaire d’État américain à la Défense, son père sera exécuté…
Passées les scènes d’exposition, dans lesquelles on peut s’amuser à retrouver certains thèmes chers à Craven (notamment les relations père-fille qui étaient déjà au centre des Scream, ainsi que l’obsession du metteur en scène pour le téléphone, cet engin qui a droit de vie et de mort sur son propriétaire), Wes Craven joue avec nos nerfs dès que les deux protagonistes s’enferment dans l’avion. Le cinéaste n’est jamais autant à l’aise que dans la contrainte spatiale : la maison et le garage dans le premier Scream, le studio d’enregistrement et la voiture accidentée dans le second… Plus l’espace est confiné, plus son art du suspense s’affine. En resserrant son cadre sur les visages, il impose au spectateur la force de son cinéma du hors-champ, où l’horreur des situations vécues par les personnages se devine plus qu’elle ne se voit. En ce sens, Red Eye est une belle démonstration du savoir-faire de Craven.
Dommage, alors, qu’il doive composer avec un scénario qui ne s’embarrasse pas des vraisemblances les plus élémentaires. Craven réussit à s’en accommoder dans les scènes de huis-clos mais au-delà, Red Eye devient l’un de ces thrillers grand-guignolesques qui hantent les étagères des vidéo-clubs. Course-poursuite interminable, partie de cache-cache dans une maison dont on ne compte plus les recoins, méchant qui ne meurt jamais malgré les coups de casserole… Craven confond cinéma et manège de fête foraine, peu aidé par des comédiens en roue libre qui semblent avoir changé de film en cours de route. Sorte de produit hollywoodien « 3 en 1 » (chronique sentimentale, thriller psychologique, film d’action), Red Eye ne ressemble finalement à pas grand-chose mais laisse entrevoir, pendant une petite demi-heure, ce qui reste du talent de Craven. C’est rassurant, mais c’est un peu maigre.