Pâtissant d’un titre français un peu plat, La Révélation explore les rouages d’une institution méconnue des citoyens : la Cour Pénale Internationale, chargée de juger les crimes de guerre et autres génocides. Mais au-delà de cet aspect documentaire, le film s’attache surtout à dresser le portrait de deux femmes. L’une est la victime oubliée d’une guerre que tout le monde veut désormais taire, l’autre cherche à faire remonter ce passé à la surface, dans l’espoir – illusoire ? – d’obtenir sinon réparation, au moins la reconnaissance officielle de ce que des milliers de femmes ont subi. Cette confrontation est filmée avec une réelle finesse par un jeune cinéaste prometteur, Hans-Christian Schmid.
Soupçonné d’avoir supervisé des opérations de nettoyage ethnique pendant la guerre civile yougoslave, l’ancien officier bosno-serbe Goran Durić est arrêté alors qu’il menait une vie confortable aux Açores, sous une fausse identité. Il comparaît quelques années plus tard devant le tribunal de La Haye. Mais l’affaire menace de s’effondrer sur elle-même le jour où le seul témoignage direct est publiquement discrédité : Alen Hajdarevic, jeune homme fébrile et hanté qui cherchait par tous les moyens à faire condamner Duric, n’a en réalité pas pu assister au drame ; il se suicide peu après la découverte de son mensonge. La procureure Hannah Maynard part alors à la recherche de nouvelles preuves. Elle est rapidement convaincue que Mira, la sœur d’Alen, en sait plus qu’elle ne veut en dire.
À la lecture d’un tel synopsis, il est difficile de ne pas songer à Radovan Karadžić. L’ancien leader nationaliste accusé de génocide s’était caché pendant treize ans avant d’être finalement arrêté en juillet 2008 ; son procès, déjà repoussé à maintes reprises, vient d’être une nouvelle fois ajourné. Les parallèles sont nombreux : par exemple, Durić est présenté comme politiquement influent et admiré dans son pays, ce qui est également le cas de Karadžić – qui, pour de nombreux Serbes, apparaît toujours comme un héros, voire un résistant. Mais si cette Révélation semble lorgner vers l’effet d’actualité, elle est surtout le fruit de deux années de préparation, employées à rassembler des informations et des témoignages sur le fonctionnement du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).
On aurait pu craindre que cette volonté de coller au plus près de la réalité ne transforme le film en publicité institutionnelle déguisée. Il n’en est rien, et les entrailles du TPIY sont exposées sans grande complaisance, voire avec une certaine sévérité. Les juges et les procureurs apparaissent comme des hommes et des femmes faillibles, guettés pas le carriérisme, et dont les éventuels idéaux de justice doivent constamment s’accommoder non seulement de la rigidité et de la pesanteur des procédures, mais également de tractations secrètes liées à des calculs géopolitiques complexes . En l’occurrence, Hannah Maynard va devoir affronter des hommes d’affaires yougoslaves au passé trouble, et des diplomates, qui eux non plus, n’ont pas intérêt à ce que les fantômes de la guerre civile viennent troubler les négociations en cours en vue de l’intégration dans l’Union Européenne des anciennes républiques yougoslaves.
L’absence d’angélisme est plus que bienvenue dans un film traitant d’un sujet aussi complexe et sensible. Ce choix confirme le talent singulier de Hans-Christian Schmid, jeune cinéaste allemand qui n’hésite pas à s’emparer de sujets ambitieux sans chercher à en élaguer les nuances. En 2006, il racontait dans son Requiem l’histoire d’une jeune épileptique qui, dans les années 1970, se laissait convaincre qu’elle était victime d’une possession démoniaque ; le film était inabouti, mais néanmoins intéressant, en ce qu’il ne présentait jamais son héroïne comme un phénomène de foire ou comme une hystérique mais comme la victime d’une double aliénation, familiale et religieuse. Plus récemment, Et puis les touristes, film réalisé par Robert Thalheim mais que Schmid produisit et dont il coécrivit le scénario, s’attachait à interroger la mémoire de la Shoah et du sentiment de culpabilité collective des Allemands – des sujets archi-rebattus mais traités ici avec délicatesse et subtilité.
Là où ce nouveau film s’avère le plus convaincant, c’est quand il s’attache au quotidien de professionnels investis dans leur travail, et confrontés à la frustration de voir des années de travail anéantis par un vice de forme ou par l’irruption de la realpolitik. Au-delà de cet aspect documentaire, La Révélation pose également des questions très pertinentes sur la justice et la reconstruction – d’un pays, d’une identité. Lorsque Mira se laisse convaincre de témoigner contre Durić, elle prend non seulement le risque de se voir traquée par des hommes de main sinistres, mais également celui de chambouler sa nouvelle vie et de rouvrir ses propres blessures – sans être assurée d’obtenir justice ou même d’être entendue. Le parcours de ce personnage à la fois fragile et déterminé, confronté à la froideur de l’administration internationale, perdu dans des couloirs et des chambres à l’atmosphère impersonnelle et aseptisée, se révèle poignant.
S’il ne cherche pas à glamouriser une intrigue forcément austère, Schmid s’efforce de greffer sur le film à thèse à l’européenne un genre typiquement américain, celui du thriller politico-judiciaire. Bien sûr, on est loin de l’efficacité hollywoodienne, et prétendre que La Révélation pourrait faire de l’ombre à The Ghost Writer sur ce terrain serait certes exagéré… Mais si la mise en scène ne fait pas d’étincelles, Schmid livre un travail solide, digne mais jamais compassé. Il sait créer des personnages attachants, comme cette jeune chargée de sécurité que l’on aperçoit à peine, mais dont la douceur et la patience marquent durablement. Il sait aussi s’appuyer sur des interprètes solides : le duo d’actrices principales est remarquable, notamment Anamaria Marinca dont le jeu intense nourrissait déjà 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Grâce à elles, et grâce à l’intelligence d’un scénario à la fois adroit et sensible, cette Révélation parvient à compenser la lourdeur induite par une production cosmopolite, et à frapper à la fois fort et juste.