À l’époque du précédent film de Kim Jee-woon, Le Bon, la brute et le cinglé, l’auteur de ces lignes s’étonnait du côté hautement pulp du film, qui contrastait avec la sévérité des films précédents. Était-ce le début d’une nouvelle orientation pour l’un des plus intéressants réalisateurs coréens parvenus jusqu’à nous ces dernières années ? Deux ans plus tard, la déception est amère : la sophistication de Deux Sœurs et de Bittersweet Life est envolée, la folie du Bon…, oubliée. Affreusement premier degré, d’une complaisance éprouvante, J’ai rencontré le Diable s’impose comme une énorme faute de goût dans la filmographie de son auteur.
Le cinéma coréen n’est présent sur les écrans français que grâce à quelques noms qui ne sauraient certainement pas représenter l’intégralité de la production du pays du Matin calme. L’image véhiculée par ce cinéma laisse parfois sceptique : une grande attention portée à la photographie, souvent somptueuse, parfois au détriment du scénario, et de la mise en scène. Des quelques cinéastes coréens à l’affiche actuellement, Kim Jee-woon est l’un de ceux pour qui ce reproche est le moins valide. Avec Deux Sœurs, le cinéaste a réalisé ce qui reste peut-être le meilleur film – le plus subtil, en tout cas – de la vague d’horreur asiatique qui a déferlé, il y a quelques années (avec le Kairo de Kiyoshi Kurosawa et Dark Water de Hideo Nakata). A Bittersweet Life mêlait finement esthétisme raffiné et narration labyrinthique, tandis que Le Bon, la brute et le cinglé sortait l’univers de Kim Jee-woon de la perfection glacée pour plonger dans un joyeux chaos régressif…
Alors, que dire de J’ai rencontré le Diable ? Voyons le scénario. Attention, ça va très vite : Kyung-chul (Choi Min-sik, transfuge d’Old Boy et de Lady Vengeance) est un tueur en série, version viol + torture + découpage en morceaux. Il tue la copine de Kim Soo-hyeon (Lee Byung-hun, la brute du Bon… et le héros de Bittersweet Life), agent secret, qui va, dès lors, jouer au chat et à la souris pour se venger. Et un chat, ça aime jouer avec ses proies, sauf que cette fois, la proie peut répondre… Rien de plus à ajouter.
Ce canevas primaire, Kim Jee-woon va l’illustrer, dans un film par ailleurs incompréhensiblement long, de deux façons : d’une part, des séquences d’un humour incongru et complètement hétérogène vis-à-vis du reste du film. L’autre part, celle du lion, le cinéaste semble la penser originale : révéler dès les premières minutes l’identité du tueur, puis alterner les séquences de « chasse » et les scènes de violences. Celles-ci sont d’une belle brutalité – elles ne sont d’ailleurs pas sans évoquer le catalogue atroce de barbarie de Sympathy for Mr Vengeance, de Park Chan-wook. La différence, c’est que, pour affreusement complaisant qu’il ait été dans ce film, le réalisateur prenait soin de donner corps et identité à sa mise en scène, d’avoir une galerie de personnages écrits, crédibles, avec de la chair sur les os.
On ne peut guère en dire autant de J’ai rencontré le Diable : son tueur, voulu comme un monstre terrifiant, évoque plus volontiers un oncle bougon et pas plus impressionnant que ça. Quant à son héros, dont on perçoit bien la volonté d’en faire un personnage ambigu et borderline, il est malheureusement campé par Lee Byung-hun d’une façon monolithique, glaciale, excepté dans les dernières séquences, où l’acteur fait mine de craquer avec un manque de conviction consternant.
Reste donc cette volonté d’aller plus loin que tous les autres, de faire, ainsi qu’on a pu le dire ici et là, le « film de vengeance ultime ». Mais, aligner les atrocités, même les plus démonstratives – mais certainement pas inventives –, ne fait pas un film, ce qui handicape férocement les torture-porns divers et variés. Un genre dont J’ai rencontré le Diable n’est finalement pas si éloigné, hélas.