On a souvent reproché aux comédies réalisées ou produites par Judd Apatow de cantonner les femmes au rôle de faire-valoir gracieux (belles, intelligentes, matures), donc chiant. Un point de vue un peu biaisé, mais pas complètement faux : même quand ils sont drôles, les personnages féminins chez Apatow et ses sbires n’ont pas la verve des héros masculins de 40 ans, toujours puceau, En cloque, mode d’emploi ou Funny People (seule vraie réussite de son auteur et bide cinglant au box-office). Le voir produire aujourd’hui une comédie écrite et interprétée par des femmes pique donc la curiosité tout en laissant craindre le pire, d’autant que la stupide accroche publicitaire du film (« Un Very Bad Trip au féminin », juste ce dont tout le monde rêvait !) fait référence à un film qui, en surfant sur la vague de l’humour poids lourd d’Apatow sans en retrouver les quelques fulgurances qui le distinguent du tout-venant, en a galvaudé l’esprit.
Mais Apatow a le nez creux et, en connaisseur avisé de la fine fleur de l’humour U.S., a jeté son dévolu sur l’un des trésors les mieux gardés de la culture américaine : Kristen Wiig. Révélée par le Saturday Night Live, repérée dans quelques seconds rôles irrésistibles (notamment dans le beau Adventureland), la comédienne a co-écrit le scénario de Mes meilleures amies avec Annie Mumolo et s’est réservé le rôle principal aux côtés d’une autre merveille du SNL, Maya Rudolph. Sur le papier, pas de quoi crier au génie : deux amies d’enfance voient leur amitié rudement mise à l’épreuve quand l’une (Rudolph) décide de se marier et demande à la seconde (Wiig) d’être sa demoiselle d’honneur. Il y a presque quinze ans, Julia Roberts et Cameron Diaz s’étripaient gentiment autour d’une pièce montée dans Le Mariage de mon meilleur ami, énième avatar d’un sous-genre (la comédie matrimoniale) qui n’en finit pas de jouer sur des quiproquos souvent éculés pour mieux se vautrer dans la guimauve. Il aura donc fallu attendre 2011, et l’esprit un peu ravagé de Wiig et ses copines, pour que les filles se décident enfin à saccager avec une sauvagerie folle le décor écœurant du mariage à l’américaine (plein de rose, de crème et de sucre), au détour d’une scène hilarante de cruauté revancharde.
Réalisé (en pilotage automatique) par un homme, Mes meilleures amies ne brille pas par l’inventivité de sa mise en scène. Cela n’a, à vrai dire, que peu d’importance : l’intérêt du film réside dans l’équilibre qu’il maintient entre blagues salaces, humour pipi-caca (les âmes sensibles devront s’abstenir ; les autres, en revanche, pourront y trouver un bonheur proche de l’extase), et une étonnante sensibilité qui lui évitent de tomber dans la caricature grossière. Les liens entre mères et filles, les relations sexuelles et amoureuses et la rivalité féminine sont autant de sujets qui ne sont pas juste prétexte à amuser la galerie, mais finissent par donner au film des nuances qui font souvent défaut aux comédies romantiques lambdas. De même, le discours social sur fond de crise (l’héroïne a dû fermer sa pâtisserie) ancre Mes meilleures amies dans un contexte qui, s’il peut paraître un brin opportuniste, a le mérite de donner un bref aperçu des angoisses de l’Américain(e) moyen de 2011. Ce qui, justement, fait de cette comédie bien plus qu’un festival de cochonneries, et que Kirsten Wiig exprime à merveille dans son rôle : la terreur de la fille seule, à l’aube de la quarantaine, encore en colocation et flanquée d’un job qu’elle déteste, lorsque sa compagne de galères passe de l’autre côté.
Loin d’être parfait, Mes meilleures amies traîne un peu la patte sur la fin (2h04 pour une comédie, c’est beaucoup trop long), impose une love story secondaire tout à fait dispensable entre Wiig et un flic falot et se fend d’un regrettable final musical qui, pour le coup, confine à la niaiserie. Mais qu’importe : le rire emporte tout, et le casting impeccable se sort haut la main des pires situations (tout le monde est parfait mais, une fois de plus, les méchants s’en sortent haut la main : qui aurait cru que la choupinette Rose Byrne et le ténébreux Jon Hamm pouvaient être si monstrueux ?). Au-dessus du lot, presque en lévitation, la reine Wiig plane, impériale. Pourvu que Hollywood ne lui donne pas trop vite un rôle à Oscar pour « montrer l’étendue de son registre » : on l’aime bien assez quand elle se vautre dans la crème pâtissière, merci beaucoup.