Si les hasards du calendrier placent la sortie du Blanche Neige de Tarsem Singh à quelques semaines de cette nouvelle version, les deux films se situent pourtant aux antipodes. Foin du kitsch ironique du premier : le Blanche Neige et le Chasseur de Rupert Sanders se veut une épopée qui parcourt l’intégralité du spectre de la féerie, du plus tendre au plus sombre. Malgré de gros ratés, le pari est plutôt bien tenu.
Alors que, dans une démarche ironique et suffisante, Tarsem Singh regardait le conte original de haut, Rupert Sanders, et son scénariste Evan Daugherty, collent à certains aspects de la légende avec un regard renouvelé, et en introduisent d’autres, souvent pour le meilleur. Lorsque le film reste fidèle au conte, il nous permet de retrouver les jalons traditionnels bien connus, mais jamais avec une fidélité exacte : une volonté de placer le récit allégorique du canon féerique dans le cadre d’une épopée bien plus large est à l’œuvre. D’un strict point de vue narratif, la transition du conte vers le récit épique est exemplaire, pleine de surprises pour les connaisseurs du conte original, et parsemée de rebondissements pour la plupart intelligemment pensés. D’un point de vue formel, en revanche, le publicitaire réputé Rupert Sanders, qui a ici à faire à son premier long métrage de cinéma, ne convainc guère dans les scènes d’action, profondément illisibles. Plus étonnamment, le réalisateur se distingue par d’autres idées formelles, dont la plus étonnante demeure sa propension à la référence : on peut ainsi trouver des citations longues et littérales – pas seulement des références de passage donc – du Seigneur des Anneaux, de Princesse Mononoke ou de L’Histoire sans fin.
Le réalisateur semble ainsi avoir voulu placer son film au croisement de ses références, évidentes et multiples – ou moins évidentes, d’ailleurs : on peut ainsi relever des clins d’œil au Trône de fer ou au Labyrinthe de Pan. Malgré tout, l’ensemble évite l’effet patchwork qu’une telle accumulation laissait craindre : peut-être est-ce la sensibilité graphique du réalisateur Rupert Sanders qui est ici à l’œuvre. Il est ainsi, tout au long du film, prêté une attention toute particulière aux détails, certains mis en scène avec une grandiloquente intensité, ainsi qu’à la création d’images. En contrepoint des scènes où une véritable capacité dynamique fait terriblement défaut au réalisateur, celui-ci parvient donc à focaliser l’attention sur des images délicieusement travaillées, des détails qui deviennent, du coup, sur-signifiants. Rupert Sanders compose ainsi une sorte de livre d’images animé, dont les passages épiques manquent de souffle, mais qui ne manquera certainement pas d’émerveiller par la qualité de ses enluminures.
Hélas, les acteurs tenus de porter l’action ne sont pas réellement au rendez-vous. Chris « Thor » Hemsworth demeure fidèle à lui-même, dans un rôle hautement testostéroné, viril et brutal, qui parvient pourtant à susciter un brin d’émotion. Les deux têtes d’affiche féminines, en revanche, génèrent une bonne dose de crispation dès qu’elles sortent de leur rôle de poupées. Ainsi, Charlize Theron, une semaine à peine après son rôle monolithique et sans nuance de Prometheus, revient dans un rôle à deux facettes : elle est Ravenna la Méchante Reine calculatrice d’une beauté renversante. Tant qu’il s’agit de considérer tout un chacun avec le plus haut mépris, elle s’impose sans peine. Dès, en revanche, que les apparences se craquellent et que la colère transparaît, l’actrice devient une harpie criarde, ridicule de cabotinage. Kristen Stewart, qui doit encore nous assurer qu’elle n’est pas seulement bonne à promener une mine ahurie tout au long de la saga Twilight, compose une Blanche-Neige pure-innocente-gentille avec une absence d’expressivité qui sied bien au personnage. En revanche, dès qu’il s’agit de pousser une harangue héroïque, destinée à lever une armée à sa suite, elle sonne tellement faux que cela en deviendrait gênant. De fait, le but du tandem Rupert Sanders-Evan Daugherty semble vouloir créer, avant tout, non pas des personnages de chair et de sang, mais des archétypes moraux.
Car l’aspect symbolique, analytique propre aux contes de fées demeure fortement présent dans la réécriture proposée par Evan Daugherty. Il agrémente le discours symbolique du conte original – le conflit des générations, en somme – d’une bonne dose de féminisme. Ainsi, la cruelle Ravenna ne s’est engagée dans une spirale de conquête que par désir de venger son peuple, et particulièrement les femmes de celui-ci, dont le seigneur local disposait à loisir. Les pouvoirs colossaux de cette reine-sorcière lui viennent, d’ailleurs, de sa mère, qui lui offre, au moment où les hommes du roi viennent l’enlever, le sortilège qui lui permettra de subjuguer les hommes par sa beauté, et la possibilité de vampiriser la beauté des autres. Mais, pour autant, ces pouvoirs sont, comme le perçoivent les proches de la reine, également une malédiction – comme si c’était le désir de revanche de sa mère qui avait sacrifié sa petite fille sur l’autel de la vengeance, la transformant en monstre inhumain et obsédé par une croisade revancharde qui n’a bientôt plus d’objet. Une belle figure de méchante ambiguë, potentiellement tragique, en somme, mais dont le film ne fait guère usage, d’autant plus que la conclusion de la confrontation finale entre la reine et Blanche-Neige semble vouloir simplifier ces enjeux pourtant intéressants. Comme dans ce personnage ambivalent, mais pas assez exploité, Blanche Neige et le Chasseur est à son meilleur lors de ces moments de doute, d’incertitude, de non-dits qui parsèment le film : des moments discrets mais surprenants, intelligents et subtils qui permettent au film de transcender ses réels défauts formels.